Les cinq touristes allemands arrêtés le 20 novembre dans l'erg Admer, au sud du Tassili, passeront devant le juge près le tribunal de Djanet demain lundi 29 novembre. Ce groupe de touristes, après avoir faussé compagnie à son guide, a été retrouvé cinq jours plus tard en possession de quelque « 130 pièces précieuses » représentant des milliers d'années d'histoire. Retour sur l'affaire de ces « pillards ». Jeudi 11 novembre. Nuit du doute en Algérie. L'Aïd sera fêté samedi 13. Le groupe de touristes allemands, composé de deux femmes, El Friede et Elsabeth, et de trois hommes, dont l'un d'entre eux, Ernst Heilmeler, âgé de 53 ans, n'est pas à son premier voyage au Sud algérien, spécialement au parc national du Tassili. Etant à sa quatrième visite de ce territoire, Ernst semble le connaître suffisamment pour se passer d'un guide. ll est le chef du groupe. Venant à travers l'agence touristique Chenna Voyages et Tourisme, dont le siège est à El Oued, ces touristes entrent dans le territoire national via le poste frontalier algéro-tunisien Taleb Larbi, situé à 70 km au sud de Hassi Messaoud. Un guide appartenant à l'agence Chenna les reçoit dans ce point de départ de leur long périple qui devait aboutir à Tamanrasset. La mission du guide est d'accompagner les cinq touristes jusqu'à Djanet et puis de les mettre en contact avec l'agence qui s'occupera de l'organisation de leurs sorties dans le Tassili. Les cinq Allemands, disposant de deux Toyota HJ69 de type 4x4 qu'ils ont ramenés avec eux de Tunisie, passent leur première nuit en plein air dans l'erg de Hassi Messaoud. Le lendemain matin, vendredi 12 novembre, ils continuent le chemin en s'arrêtant à la tombée de la nuit à Belgbour (340 km au sud de Hassi Messaoud). A l'aube du samedi 13, ils prennent la destination de In Amenas, marquant un arrêt à Tifti. Nuit passée dans une kheïma (tente). Le groupe reprend aux aurores son périple pour arriver la nuit à In Amenas. Il reste 200 km à parcourir pour arriver à Illizi. Sur leur chemin vers Djanet, ils placent leur appareil GPS qu'ils n'auraient pas déclaré au poste frontalier. Ils rallient Djanet, le 14 novembre. Le guide les conduit à l'hôtel de la ville, Zeriba, où ils passent encore deux nuits dans une kheïma. La première tranche de sa mission accomplie, le guide Azeddine Chebrou passe à la seconde étape. Mais il rencontre une résistance. Les touristes refusent d'avoir un guide. Ernst, le chef du groupe, dit qu'il n'en a pas besoin. Le Stratagème Pour lui, la région lui est familière. Le guide fait appel à l'autorité. Les gendarmes viennent alors à l'hôtel, le 15 novembre. Ils leur expliquent que la réglementation régissant le parc national du Tassili exige des touristes nationaux et étrangers de ramener avec eux un guide et de donner a priori à la direction du parc le tracé de l'itinéraire à suivre. Ainsi, ils se montrent persuadés et acceptent d'être accompagnés dans leur randonnée par un guide. Le lendemain 16 novembre à 8h. Azeddine Chebrou part avec la police pour remplir les formalités nécessaires. A son retour, il constate que les touristes ont quitté l'hôtel en prenant leurs deux Toyota. Il part ainsi à leur recherche en compagnie des services de police. Apprenant qu'ils ont fait le plein à la station-service de la ville, située sur la route de l'aéroport, le guide a tenté de les rattraper, avant de revenir bredouille, son véhicule manquant de gasoil. Mais le guide, gagné à la fois par la peur et par l'inquiétude sur leur sort, avise illico presto la gendarmerie. Un plan d'alerte est déclenché. « Nous étions tous inquiets. En plus des services de sécurité tous corps confondus (gendarmerie, police, armée de terre et de l'air), les agents de l'Office du parc national du Tassili et quelques agences de voyages partent à la recherche des cinq touristes. Ils travaillent d'arrache-pied depuis l'annonce de cette mauvaise nouvelle. Nous avons eu peur pour eux. Le Sud est dur et n'épargne personne. Tout peut leur arriver, même s'ils sont bien équipés et disposent de certaines connaissances théoriques et pratiques sur l'environnement », nous dit El Ahcène, employé à ... Le spectre d'un remake de l'épisode dramatique et catastrophique des touristes allemands enlevés en 2003 à l'Extrême Sud hante les esprits des gens du Nord. Les Djanétiens, qui savaient dès le premier jour que ces touristes sont sortis seuls, abandonnant leur guide en ville, suivent les opérations de recherche ayant mobilisé tous les moyens dont disposent I'OPNT et les services de sécurité. Trois jours de recherches minutieuses sur une étendue de 85 000 km2, un territoire qui équivaut au double de la superficie de la Suisse, ont permis de les retrouver sains et saufs. Les éléments de la gendarmerie qui les ont présentés devant le procureur de la République près le tribunal de Djanet ont trouvé dans leurs bagages plus de 130 pièces archéologiques ayant une grande valeur historique et scientifique. Le caporal Benhlima Abdelmalek, qui était parmi la section qui a mis la main sur les cinq touristes pilleurs, témoigne : « Nous les avons trouvés à 23h. Quatre étaient endormis. Le chef du groupe, Ernst, dans un véhicule, les autres sous des tentes. Une femme seulement était réveillée. Nous avons d'abord procédé à la vérification de leurs identités. Lorsque nous avons confirmé qu'il s'agissait bien des touristes recherchés, nous avons procédé â la fouille générale. Et c'est là que nous avons trouvé des pièces archéologiques importantes. » Quelle était leur réaction ? « Ils étaient bien entendu surpris. Mais ils n'ont rien dit. Nous les avons embarqués et ramenés dans notre brigade avant de les remettre à la justice. » Mais comment ont-ils pu s'introduire dans ce territoire protégé sans l'aval de l'OPNT, sans qu'ils soient immédiatement repérés ? Le quart de l'Allemagne que représente la superficie du parc du Tassili n'est pas suffisamment sécurisé. Celle-ci est la première impression. Cela du moins suppose le manque de moyens de tous les intervenants dans cette mission de protection du parc. Certes, les moyens manquent, mais avec le peu qu'il y a, les équipes de recherche combinées se sont échinées sans relâche à retrouver ces touristes. Mais vu I'immensité du territoire, cela a valu de longues journées et de pénibles nuits passées à la belle étoile. Quel circuit ont-ils emprunté ? Est-ce celui qu'empruntent habituellement les touristes ou ont-ils dévié pour brouiller les pistes aux équipes de recherches ? Vendredi 26 novembre. 6 heures à peine passées. Nous partons sur la piste de ces pillards à la rencontre de leurs « délits ». Nous sommes accompagnés du sous-directeur de l'OPNT, Semmadi Mohamed El Aid, assistés par le 5e groupement des gardes-frontières. La randonnée désertique démarre de l'hôtel Zeriba. Espaces nécropoles Première destination : Tisghas. Un espace rocailleux d'une vaste étendue. Les touristes sont passés pas loin d'ici. A Tisghas, la vue s'arrête sur un monument funéraire datant de la Protohistoire. A l'intérieur du site, un « Idbni » (pluriel : Idbnene, qui veut dire un tumulus) est abrité. « Il remonte à au moins 2500 ans avant Jésus-Christ », dit El Aid, notre guide. La chapelle est éventrée, le tumulus a été fouillé dans les années 1990 par des archéologues pour les besoins de la recherche. A côté de cette tombe préhistorique, il y a plusieurs autres petits tumulus. « Les plus proches ont été pillés durant la période coloniale », nous fait savoir le guide. Devant chaque tumulus, il y a 5 à 6 structures de pierre. Cela représente des significations magico-religieuses : une manière aussi de démontrer leur divinité de l'époque à quelqu'un, leur chef. D'un coin rocheux, recelant tout le génie humain de 5000 ans, pas loin des tumulus, apparaît l'immense mont de granit appelé Timbeur (qui veut dire la jaillissante). « Timbeur a constitué depuis des milliers d'années, du temps des caravanes, le point de repère des nomades et commerçants qui venaient du Niger. Nous sommes dans les grottes des gens de l'Aïr Tekaden-n-ayen. » Cette zone attire beaucoup de touristes. Elle dispose d'une surface archéologique étendue sur un vaste espace sablonneux qui contient d'innombrables restes de pierre représentant des outils de travail de la préhistoire. C'est un musée à ciel ouvert. Il y a du matériel de broyage, des récipients faits à base de pierre, des lames... Sur un grand rocher, les signes d'un passage de longue date sont édifiants. Des auges et des cupules sont creusées à même le rocher. La façade donnant sur l'oued Edjeriou est illustrée de peintures rupestres qui traduisent des paysages et des messages. Des chameaux par-ci et des gazelles par-là, la dalle est vue comme « la palette de l'artiste ». Les espaces utilisés pour aiguiser les effets de l'art sont encore visibles de l'amont. Sortant de cette zone rocheuse, qui n'est pas loin des plateaux du Tassili, nous prenons le chemin de Timghas (la molaire). Arrivant dans un espace denté de pierres sous forme d'immenses stalactites bien aiguisés, les chaînes montagneuses d'Imoureden lancent leur invitation. D'ici l'on peut profiter de toute la géomorphologie la plus importante de la falaise du Tassili. Noirâtre de loin, la faIaise est composée d'innombrables dunes rocheuses, d'un empilement de grès. C'est là toute la beauté du Tassili. Semmadi Mohamed El Aïd en profite pour lancer un message : « Ce que vous voyez ici est un patrimoine représentant des milliers d'années. Chaque point de ce vaste territoire reflète un passage, donne une idée et retrace un moment important de notre histoire la plus ancienne. La protection et la préservation de ce patrimoine universel relèvent, non seulement des autorités chargées de cette mission, mais il s'agit de la responsabilité de tout un chacun. » A Timghas, nous avons trouvé un site de peintures rupestres qui souffre d'usure. Certains tableaux disparaissent. Notre guide explique cela par un phénomène naturel. « Ce sont les fines plaques d'un millimètre qui tombent sous l'effet des changements de température. Mais cela prend des milliers d'années », dit-il. Durant notre randonnée, le sous-directeur de l'OPNT nous a fait savoir qu'en dépit des compétences humaines que possède cet organisme, les moyens font défaut. « Nous n'avons pas les moyens suffisants et conséquents pour accomplir les missions qui nous ont été dévolues et qui sont la conservation, la préservation et la mise en valeur du parc », lâche-t-iI. « Il y a 8 millions d'hectares et nous n'avons que 60 agents éparpillés un peu partout. Malgré cela, nous avons mis des équipes de garde qui se relaient tous les quinze jours pour veiller sur les sites. Mais cela reste toujours insuffisant », souligne-t-il. Manque de moyens de l'OPNT Après cette halte marquée à Timghas, nous prenons la destination d'Imoureden, un site traversé par l'oued Assassou. Sur notre passage, nous profitons d'une curiosité géologique : le coq en pierre, avant de faire une halte au niveau d'un site archéologique de surface. Sur ce site, on trouve des restes de la céramique et autres effets de différentes utilités. Au cœur du site, ll y a des restes d'une structure architecturale dont l'âge n'a pas été encore identifié. 13 heures passées. Nous sommes arrivés à Imoureden. Pendant notre déjeuner sous un gigantesque mont rocheux, dans une surface rocailleuse, une méharée apparaît au loin. Mirage ? Non. C'est une méharée venue de Tamanrasset. Elle est en route depuis 21 jours. Il s'agit d'un groupe de touristes italiens. Eux, en plein désert depuis trois semaines, sont déconnectés du reste du monde. Ils ont l'air très contents. Est-ce que vous êtes au courant de ce qui s'est passé dernièrement dans ce territoire ? « Quoi ? Il s'est passé quelque chose ? », réplique l'un d'entre eux, l'air joyeux et souriant. « Cinq touristes allemands ont été arrêtés en possession de plus de 130 pièces archéologiques précieuses. Ils ont été poursuivis en justice pour pillage d'un patrimoine historique protégé », leur avons-nous expliqué. « Qu'ils payent leur bêtise. Nous sommes contre ce genre de touristes. Si nous venons ici, ce n'est que pour profiter de ces paysages magnifiques. Maintenant, si ces gens ont commis des délits, des vols, qu'ils soient jugés et punis », renchérit un des touristes. Vers 15 heures, nous partons en direction du grand erg Admer. Au bout de près d'une heure de piste sur l'oued Assassou, nous arrivons au point le plus près de la place où les cinq touristes ont été retrouvés. Nous nous arrêtons. Le commandant, sortant une carte et un appareil GPS, nous situe exactement le point recherché. Les 5 prévenus ont été surpris dans leur sommeil à 23h, dit-il. C'est au cœur de cette chaîne de dunes sableuses que les gardes-frontières, assistés par un avion militaire de reconnaissance à infrarouge, que les cinq Allemands que l'on croyait enlevés, se sont dissimulés pour échapper aux poursuites.