La fameuse Place Rouge de Moscou a vibré d'un concert de rock singulier dimanche dernier avec en plus à l'affiche deux stars d'un nouveau type, maîtres en autoritarisme et politique spectacle. En amont de l'apparition triomphale et spectaculaire de Vladimir Poutine, désormais ex-président de la Fédération de Russie, accompagné de son dauphin Dmitri Medvedev, élu au premier tour de l'élection de dimanche dernier, il y a eu une mise en route d'un rouleau compresseur qui a déterminé largement le résultat des urnes. Le décorum de l'échiquier politique russe n'est pas avare d'autres tours de passe-passe : la victoire attendue de Medvedev est due aussi à l'annonce durant la campagne électorale, du candidat Medvedev de nommer - s'il est élu au poste de Premier ministre Poutine – interdit de troisième mandat par la Constitution. Deux atouts de taille ont été entre les mais de Medvedev : il a été vicepremier ministre sous le règne de Poutine ; et il a disposé d'une formidable couverture des chaînes de télévision et de la presse. Ainsi avant même la campagne électorale il a, comme on dit, crevé l'écran. De l'avis de nombreux observateurs étrangers la campagne a été terne, sans débat contradictoire sur des projets de société. Entre autres recherches de terrain effectuées sur cette campagne, un cabinet russe d'analyse et d'étude des médias, Medialoguia, a rendu publics des indicateurs de la démesurée visibilité acquise avant l'ouverture du jeu par le candidat à la candidature. Entre le 10 décembre – moment où Poutine l'a avancé en successeur - et le 26 février, Dmitri Medvedev a marqué 1 832 apparitions sur les chaînes du groupe public de télévision. En comparaison, les apparitions des trois principaux rivaux n'étaient que de 533 pour l'ultranationaliste, 479 fois pour le communiste et 258 fois pour le candidat des démocrates. Le poulain de Poutine (âgé de quarante trois ans) aurait été dix sept fois plus visible que ses concurrents. Si sûr d'emporter les suffrages, Medvedev a même refusé de participer aux débats électoraux télévisés. Ces rituels peuvent être des plus gênants il est vrai. L'une de ses promesses revenues en leitmotiv a été de poursuivre la politique menée par le président sortant. Comme remède clef à la Russie, "gavée de révolutions" il a prescrit un "répit". "Ce problème ne se pose pas uniquement pour notre pays, mais je dois reconnaître que tous les candidats n'ont pas bénéficié d'un traitement médiatique équivalent, la campagne a été juste, mais pas équitable », a déclaré à la BBC Vladimir Tchourov, président de la puissante commission électorale. Le « traitement de faveur » administré au candidat Medvedev a té aussi souligné par la présidente de la branche russe de l'organisation non gouvernementale (ONG) Tranparency International (TI) : "Les moyens de l'Etat ont été sans aucun doute dominants" ; et ils ont été utilisés par lui. Par ailleurs l'organisation indépendante russe Golos, comptant sur deux mille observateurs, a déclaré avoir pointé, avant l'ouverture du scrutin, « des tentatives de bourrages d'urnes dans des bureaux de vote de la région de Moscou et avoir mis au jour d'autres exemples de fraudes dans tout le pays. Selon l'ONG : "Le tableau est très sombre. Il est clair que dans les régions où la participation est incroyablement élevée, au-dessus de 90 %, la proportion de votes pro-Medvedev atteint aussi des sommets impossibles." De fait Medvedev a donc « fait sa campagne non pas comme un candidat, mais comme un chef d'Etat déjà élu ». Dernier, mais non des moindres, des échos parvenus de cette nouvelle Russie rutilante de libéralisation mais aussi autoritaire, l'ancien champion du monde d'échecs Garry Kasparov, a défilé dimanche avec des sympathisants pour dénoncer la « farce » de la présidentielle ; il a été interdit d'accès à la place Rouge.