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Un des pionniers de la photographie en Algérie ALI MAROK. CINÉASTE
Pas seulement chasseur d'images« J'aimerais être une rivière pour suivre mon cours sans quitter mon lit. »
Lorsque vous l'interpellez sur son métier de photographe qu'il a su magnifier, il feint de ne pas vous entendre. Puis sortant de son silence, il rappelle qu'il est d'abord cinéaste. Qu'il a eu le privilège d'être l'assistant de Gillo Pontecorvo, que la Bataille d'Alger, c'est aussi un peu lui. Cinéaste, pionnier de la photo en Algérie, Ali Marok est aussi éditeur. Doyen des chasseurs d'images, il a immortalisé un pan entier du patrimoine culturel national. D'une grande sensibilité, Ali vous parle sans discontinuer de sa rencontre avec la photo, de sa jeunesse paisible à Marengo, de son long parcours dans un métier où il est difficile de s'affirmer. « Mon oncle Abdelkader Benzerfa, homme de culture, a su m'inculquer des valeurs qui ont façonné ma personnalité. Il m'a aidé à pénétrer le monde de l'image. Sans doute a-t-il été ma rampe de lancement. » « C'est à la télévision, où j'ai travaillé dans les années 1960, que le goût du métier s'est affermi. C'était pour moi un moyen d'expression et je l'ai exploité », reconnaît-il aujourd'hui. Par la suite, notre artiste s'est intéressé au patrimoine. Il a travaillé sur La Casbah d'Alger, afin d'immortaliser des monuments historiques qui risquaient de dépérir. D'ailleurs, Ali pique une grosse colère lorsqu'on évoque avec lui la situation du patrimoine national, dont bon nombre d'œuvres continuent d'être entreposées à l'étranger. Il y voit un abandon criminel en se réjouissant que les jeunes photographes échappent à cette fatalité de confiscation de la mémoire. « Témoin du siècle » Ali Marok est un personnage atypique né en 1939 à Marengo, il se plaît à se définir comme un berger-photographe. Sans doute a-t-il été influencé par cette Mitidja heureuse, qui l'a vu naître. Son métier, il le prend à bras-le-corps avec une grande passion. « Pour moi, un photographe est d'abord témoin de son siècle. Il doit faire son boulot avec amour, respect et générosité. Un photographe, note-t-il, doit connaître, respecter et faire découvrir le lieu culturel qu'il doit fixer avec son appareil, car on ne peut restituer une partie de notre mémoire sans ressentir qu'elle fait partie de nous-mêmes. On ne peut pas abîmer quelque chose qui nous appartient. » Photographe dont la notoriété a dépassé les frontières, Ali Marok traîne sa vieille carcasse dans les grandes métropoles où ses œuvres sont exposées. L'irruption du numérique ne l'effraie pas outre mesure. Pour lui, il est vrai que le triomphe de la technologie a quelque peu changé la conception de son métier. Il s'est lui-même adapté, sans problème. « Le cinéma parlant avait soulevé d'insurmontables réticences chez les vedettes du muet. Un homme avait compris qu'il s'agissait là d'une révolution et avait franchi le pas. C'était Charlie Chaplin. » Ali considère que le monde d'aujourd'hui, marqué par la rapidité, est dans une phase comparable à celle qui avait interpellé, en son temps, le génial Charlot. Puis au détour d'une parabole, Ali nous révèle qu'il avait un projet avec Kateb Yacine. « Le regretté voulait faire un album sur les ânes. L'écrivain vivait dans la région de Sidi Bel Abbès, près d'un site où se promenaient en toute liberté une multitude d'ânes. Kateb avait eu l'idée de construire un livre autour de cette profusion turbulente qui passait devant sa fenêtre. » Ce projet, hélas, n'a pas vu le jour, et Ali le regrette comme il s'en veut de ne pas aborder d'autres sujets qui lui tiennent à cœur. Mais ses œuvres sur La Casbah restent éternelles. « Nul mieux que lui n'a dépeint cette mémoire d'Alger et ses lieux emblématiques avec autant d'émotion et de nostalgie. » Images en pèlerinage C'est cette passion de la lumière qu'il avait en commun avec le regretté Mahmoud Lakhal, autre directeur de la photo qui a fait les belles heures du cinéma algérien et qui a conduit Ali à débusquer les détails essentiels, mais souvent occultés. Patriote jusqu'au bout des ongles, Ali aime l'Algérie, de cet amour charnel qui l'a vu sillonner le pays en quête d'images. Le beau livre dédié à la Kabylie restera une référence. L'ouvrage signé de Ali Marok et de Tahar Djaout est un livre où la qualité du talent unit les deux auteurs où l'éloquence iconographique se marie harmonieusement à l'écriture. « On avait conçu ce livre sur la Kabylie parce que cette région prêtait à polémique. Donc, je voulais prendre position, moi qui suis algérien, non kabyle. Et j'ai pris une position d'amour et de respect pour cette région d'Algérie, la Kabylie. Tout comme celui portant sur les Aurès. J'ai beaucoup de projets sur les grandes villes d'Algérie et sur le Sud de votre pays qui s'avère un immense chantier pour les artistes. » Dans son superbe ouvrage sur La Mecque, Ali Marok invite le lecteur à découvrir le pèlerinage, un des plus grands rassemblements religieux du monde. L'ouvrage suit pas à pas les pèlerins depuis leur arrivée jusqu'à la fin du rituel qui dure plusieurs jours. Ali nous fait visiter le mausolée-mosquée du Prophète (QSSL) à Médine. Les images d'une grande beauté sont accompagnées de textes de l'écrivain Slimane Zeghidoun. « Après le 11 septembre 2001 et l'attentat contre l'Amérique, beaucoup de mauvaises choses ont été dites sur les musulmans. Je voulais marquer à ma manière ma réprobation en démontrant que l'Islam n'est pas celui présenté par les Américains. C'est une religion de tolérance et de pardon. » Après La Mecque, Jérusalem est son projet. « Pourquoi ? Parce que c'est la capitale du monde, où il y a eu le plus de haine, d'amour, de paix, de guerre et de controverses. C'est une ville revendiquée par les trois grandes religions monothéistes. Malheureusement, ce sont les plus faibles qui paient. Jérusalem n'est pas très connue par les musulmans, qui sont beaucoup plus détournés par le spectacle de la mort et de la haine, qu'ils vivent au quotidien avec la persécution des Palestiniens. Alors que Jérusalem est le berceau de la civilisation, ce devrait être le lieu de rencontres, d'amour et de convivialité au lieu d'être encerclée, bâillonnée, mitraillée. Même l'église de la Nativité n'a pas été épargnée alors que les gens qui dominent le monde se disent des hommes de foi, ils favorisent la leur sur les autres. Leur intolérance est nuisible à toute l'humanité. Jérusalem était pourtant ouverte à tous, où même les non-croyants avaient leur place et y étaient protégés. » « J'aurais été brocanteur... » Touche-à-tout, Ali traque l'instantané lorsqu'il y trouve un intérêt quelconque. En vérité, c'est toute l'Algérie, dans sa diversité, qui se retrouve avec harmonie dans ses photos où s'interposent et se conjuguent tout à la fois, avec subtilité et goût, paysage et beauté, instantanés renvoyant au patrimoine artisanal, ou tout simplement des scènes de la société algérienne, qui sont un clin d'œil à la vie quotidienne. Un de ses collègues nous dira : « Ali s'est fait connaître par son souci de la recherche esthétique et une quête originale de la rigueur iconographique. C'est pourquoi, c'est un photographe pas comme les autres qui a élevé l'image au niveau d'une véritable œuvre d'art. » C'est le cas notamment de son ouvrage sur la Kabylie où il pérennise à travers des photos l'Algérie sereine, travailleuse et paysanne, sans lyrisme ou artifice. Le livre lui a valu les félicitations de nombreuses personnalités les plus illustres, dont Kofi Annan, le secrétaire général de l'ONU qui « a eu tout le plaisir à parcourir cet ouvrage remarquable qui allie textes écrits avec le cœur et photographies d'une grande qualité ». Jeune, Ali n'a pas eu les faveurs d'une scolarité normale. Il a dû redoubler d'efforts pour rattraper le temps perdu. C'est la naissance de ce sentiment artistique qui décuplera chez le futur artiste avide d'apprendre. « Ma vie est un apprentissage continuel », résumait-il, avec la simplicité d'un jeune écolier, en quête de découvertes et de savoir. « La vie m'a forgé », admet-il en se référant au formidable butin qu'il a emmagasiné. Les jeunes confrères le regardent comme une référence, pour ne pas dire avec une certaine fascination. « Je n'en ai pas suffisamment fait pour eux sur le plan de la formation ou du conseil », se reproche-t-il. L'irruption du numérique a considérablement changé le métier. Le risque est grand de voir les jeunes dévier de la bonne trajectoire : « Je suis convaincu que les jeunes photographes transcenderont les préjugés qui entourent le numérique et que la plupart d'entre eux reviendront aux normes plus classiques du travail. » Plus qu'un chasseur d'images, Ali est un artiste. On lui a posé la question de savoir ce qu'il aurait fait s'il n'était pas photographe. La réponse fuse brusquement :« J'aurais été brocanteur ou antiquaire. Pourquoi ? Parce que j'aime vivre et faire revivre les objets qui ont marqué leur époque. » Mais il se reprend : « Je suis photographe et je me contente de cela en essayant de contribuer à ce que l'image algérienne soit présente là où elle peut l'être. » Décidément, Ali n'a pas fini de nous étonner et de nous réserver des surprises agréables, dont lui seul a le secret. Parcours Ali Marok est né en 1939 à Hadjout (ex-Marengo). Il a collaboré, en qualité de preneur d'images, dans plusieurs longs métrages, notamment dans La Bataille d'Alger de Gillo Pantecorvo et Deuxième bureau contre-attaque. Il a été reporter photographe du magazine Jeune Afrique. Il a collaboré au Figaro, Paris Match, New York Times et à Afrique Asie. Il est éditeur à compte d'auteur de plusieurs livres d'art illustrés dont La Casbah d'Alger, Les Phares d'Algérie, Les Mosaïques des eaux et La Mecque, regards sur le pèlerinage paru aux éditions Larousse-Géo. Actuellement, Ali Marok se consacre à la publication d'un ouvrage consacré à la ville de Jérusalem ; en plus d'un autre projet qu'il n'a pas voulu divulguer et qu'il dédiera en temps opportun à ses lecteurs. Parmi ses œuvres les plus célèbres Bâtiment Alger-mosquée Ben Badis, Pont de Canstantine, Notre-Dame- d'Afrique, Portrait de femme de Taghit, Femme chaouie, Femme algéroise et Femme constantinoise. En tant qu'éditeur, a à son actif plusieurs ouvrages tout aussi intéressants les uns que les autres. On citera entre autres ceux consacrés à La Casbah et à la Kabylie, mais aussi à Constantine. Un Défi à la nature, La Foggara, Société et civilisation, Algérie espace et diversité. Dans le cadre de l'année de l'Algérie en France, Ali Marok a exposé ses plus belles photos d'art au centre culturel algérien à Paris, sous le thème « Algérie, espace et diversité ».