J'ai passé en 1974-75 mon service national à Oran. Elle était belle et joyeuse (El Bahia). Les Oranais étaient heureux (enfin presque) et bruyants. On dormait à deux heures par les étés chauds d'El Bahia. Les cafés et les bars fermaient leurs portes à trois heures. On dansait en pleine rue et les gens chantaient et tambourinaient jusqu'à quatre heures dans le jardin de la plus belle mairie d'Algérie… celle d'Oran El Bahia ! Je suis retourné à Oran, il y a une semaine et je me suis remémoré tout de suite Les Misérables de Victor Hugo ! Des centaines (peut-être des milliers) de Jean Valjean circulaient dans les rues de Larbi Ben M'hidi, l'Emir Abdelkader, Mohamed Boudiaf et… autres M'Dina J'dida (là, c'est le pire !). Les belles femmes oranaises, autre fois habillées et joyeuses ne sont plus — dans leur majorité — aujourd'hui que des cadavres tristes portant des « djellabas » chiffonneuses et sales. Certaines portent même des sandales en nylon par ce mois de mars froid et pluvieux. La Peste d'Albert Camus rode à Oran. Devant « La Grande cathédrale », transformée en « Maison de culture », il y a un grand tableau publicitaire où trône « gigantesquement » le portrait de Monsieur le président Abelaziz Bouteflika. Sous le « dit portrait » est écrit en grandes lettres majuscules : « Marhaben bi El Aziz Sahib El iza oual karama ». Juste sous le « grand portrait » était assise une vieille femme habillée d'un « haïk » sale, dont les bordures tombent en lambeaux. Elle mendiait. Je lui ai donné 20 DA. En me tendant la main pour les prendre, une toux sèche et… horrible lui coupe le souffle. Elle met sa main osseuse sur sa bouche et… du sang rouge mélangé à sa salive gicla de ses lèvres ! Mon Dieu… la… la tuberculose ! J'ai fait deux pas en arrière. J'ai retiré 1000 DA de la poche intérieure de ma veste, je les lui ai jetés (je m'excuse, la tuberculose est une maladie « très contagieuse ») et j'ai crié en fuyant : « Va à l'hôpital, va tout de suite ! » Une petite satisfaction m'embauma le cœur : la femme s'est levée péniblement et a quitté… « les pieds » du portrait géant de « Monsieur le Président ! »