C'est un véritable cri de détresse que lancent des experts algériens face aux risques qui pèsent sur la sécurité alimentaire du pays, du moins en ce qui concerne le lait et les produits avicoles. « Au train où vont les choses, c'est tout le secteur avicole qui risque de s'effondrer, si des mesures appropriées et urgentes ne sont pas prises », affirme Mohamed Nouad, docteur en développement des filières agricole et agroalimentaire. L'expert, intervenant hier lors d'une conférence-débat sur la problématique de la production laitière et la crise avicole qui prévaut actuellement, révèle qu'en raison de la flambée des prix des céréales sur le marché international, de nombreux éleveurs de volaille, de poulet essentiellement, ont abandonné cette activité, tandis que d'autres croulent sous le poids des dettes. Pour ce qui est de la production laitière, le docteur Bensemmane, président du Salon international des productions et santé animale, dont la tenue est prévue le mois prochain, indique que si la hausse des prix de la poudre de lait n'a pas été jugulée par des subventions étatiques, elle aurait entraîné inéluctablement l'effondrement de l'ensemble du tissu industriel réalisé autour de la filière lait. Pour expliquer les causes de cette crise, les experts sont revenus sur le contexte international caractérisé par, entre autres, l'augmentation des prix des produits agricoles (céréales, oléo-protéagineux, lait, volaille, veau), la faiblesse des stocks de céréales, le recours aux biocarburants et l'émergence de fonds spéculatifs. Selon M. Nouad, les croissances économiques de la Chine et de l'Inde ont entraîné des changements dans les habitudes alimentaires des populations qui consomment désormais plus de viande. Afin de répondre à cette demande croissante, les deux pays sont devenus de gros importateurs de graines utilisées dans la production avicole. « Cette évolution a largement contribué au fait que la Chine soit devenue en 2006 le premier importateur mondial de graines de soja, par exemple, ou que la même année l'Inde ait fortement pesé par ses achats sur le marché du blé », affirme le même expert. La dépendance du secteur avicole algérien des marchés internationaux ne pouvait, ainsi, qu'avoir des répercussions négatives, d'autant que « le modèle d'élevage adopté par l'Algérie est basé sur le recours aux intrants avicoles industriels importés », précisent les experts. Selon eux, les métiers de base, telle que la multiplication des grands parentaux et des arrières grands parentaux, la production des produits vétérinaires et des additifs et l'industrie des équipements avicoles n'existent pas en Algérie. De ce point de vue, « les industries d'amont sont totalement dépendantes des marchés extérieurs et leur fonctionnement repose sur le recours aux importations avec une mobilisation de ressources financières importantes », ajoute-t-on encore. Tout en regrettant que la filière avicole soit, aujourd'hui, « fortement désarticulée », les spécialistes appellent à la « nécessité de la mise en place de nouvelles formes d'intervention de l'Etat qui viseraient la stimulation de la production, la réduction de ses coûts, la régulation de la filière et la réduction des dépenses en devises ». Selon M. Nouad, la suppression de la TVA au profit des aviculteurs, la réduction des tarifs douaniers pour les produits intrants et la réservation d'une partie des terres agricoles pour la production des tourteaux est la solution idoine pourla relance decette activitéQuant à la filière lait, et contrairement à la transformation et aux capacités de collecte assez importantes, la faiblesse du segment de la production est perceptible à travers le faible potentiel génétique du cheptel : plus de 60% du cheptel ne produit que 5 litres par jour. C'est la raison pour laquelle « l'industrie laitière est complètement déconnectée du secteur de l'agriculture, en ce sens qu'une très faible part de ses besoins est couverte par la production des exploitations laitières », soutient M. Nouad. Et d'ajouter : « L'intensification de la production laitière au niveau des exploitations aurait dû constituer l'élément de base de la stratégie de l'Etat au niveau de la filière ». La réhabilitation de la production laitière est, de ce fait, perçue par les experts comme « une nécessité eu égard aux potentialités que recèle la filière et à la place qu'occupe ce produit dans la sécurité alimentaire ». Le poids des importations algériennes en produits laitiers destinés à la production du lait recombiné génère une lourde facture en devises de près de 1 milliard de dollars par an. Les experts pensent que l'enjeu, aujourd'hui, serait de « relever le défi en limitant la dépendance vis-à-vis des marchés extérieurs à un seuil tolérable et en améliorant les capacités et l'environnement de production nationale ».