Dans quelques années, on ne pourra peut-être plus porter des chaussures ou des vêtements fabriqués en Algérie. Le secteur du textile et des cuirs se désintègre, emportant avec lui 25 000 emplois en l'espace de vingt ans, alors que 24 000 travailleurs qui exercent dans les 70 à 80 entreprises encore en activité risquent de perdre leur emploi d'un moment à l'autre, selon le secrétaire général de la Fédération nationale des travailleurs du textile et des cuirs (FNTTC), Amar Takdjout, qui lance ainsi un cri d'alarme aux pouvoirs publics. Une trentaine d'entreprises a déjà mis la clé sous le paillasson. Celles qui restent sont dans l'expectative. Mais le SG de la FNTTC ne se fait aucune illusion quant à leur sort. « Les SGP vont accélérer la cadence des fermetures d'entreprises », affirme-t-il. Les décisions des SGP vont à contresens des orientations du gouvernement qui prône une relance de l'économie, souligne-t-il. « Aujourd'hui, on parle de stratégie industrielle et de reprise des activités économiques alors que la mentalité des responsables des SGP va dans le sens de l'arithmétique des fermetures. Il faut former les managers pour que cette stratégie réussisse », dénonce-t-il. Selon M. Takdjout, si le secteur du textile et des cuirs est à la dérive, c'est en grande partie à cause du manque d'intérêt que lui portent les pouvoirs publics. « S'il y avait eu une meilleure régulation du marché et des incitations pour l'investissement, on aurait pu se maintenir et même créer des emplois », soutient-il. L'importance de ce secteur réside dans sa dimension humaine et sociale, confie encore le syndicaliste. « C'est un secteur éparpillé sur l'ensemble du territoire national et surtout dans des wilayas enclavées. On a eu des pertes très importantes à l'Est, notamment à Tébessa et Aïn El Beïda, et à l'Ouest (Tiaret, Mascara, Mostaganem) », fera savoir M. Takdjout. La disparition de ces pans du secteur des industries manufacturières est à l'origine de nombreux fléaux sociaux tels que la précarité, l'exode et la concentration de la population dans les grandes villes, ajoute-t-il. « On est en train de scier la branche sur laquelle on est assis », commente-il. La fermeture de sociétés de distribution aura des retombées sur d'autres branches d'activité comme l'artisanat et les PME qui ne trouveront plus d'espace pour écouler leurs articles, avertit-il. M. Takdjout, qui déplore l'absence d'un dialogue social et de négociations constructifs, s'insurge contre les SGP dont « le premier souci est de fermer les entreprises », alors qu'elles sont censées « créer de l'emploi ». « La perte de l'emploi est un problème fondamental. On ne peut pas s'arrêter à l'indemnisation », soulève M. Takdjout qui plaide pour la mise en place de mécanismes pour permettre aux travailleurs licenciés une rapide réinsertion dans le monde du travail. « Les SGP sont devenues spécialisées dans la désertification industrielle. C'est tout le contraire de la politique prônée par les pouvoirs publics », fera-t-il remarquer. « Il y a une sorte de légèreté », a-t-il commenté. Il estime qu'une halte dans les privatisations et la dissolution des entreprises publiques économiques est « nécessaire afin de faire un bilan ». Une telle évaluation permettra de déterminer le sort à donner aux infrastructures récupérées après la fermeture des entités publiques, comme dans le cas des magasins de Districh, ajoute-t-il. L'absence de communication entre les différents concernés, à savoir la SGP, le partenaire social et le collectif des travailleurs, entraîne forcément des spéculations dont on aurait pu faire l'économie s'il y avait eu débat, a-t-il considéré. « Il faut écouter les solutions proposées par les travailleurs. Ils ont le droit de soulever leurs problèmes. Les SGP et les directeurs de groupes s'enferment et font appel à la police dès que les travailleurs les sollicitent. Ce n'est pas responsable. Ce n'est pas une attitude qu'on doit avoir face à ces travailleurs », regrette M. Takdjout. Le SG de la FNTTC lance un cri d'alarme sur le devenir du secteur du textile et des cuirs. « C'est un secteur intégré. On a la collecte des peaux, les tanneries, les usines de maroquinerie, la distribution. De par le monde, il a été prouvé que les secteurs intégrés sont les plus viables », précise M. Takdjout. Pour lui, le maintien de cette activité est d'une importance capitale. « Un pays qui ne fabrique pas de chaussures et de chemises ne peut pas prétendre faire dans l'électroménager », note notre interlocuteur. Il y a, selon lui, un grand potentiel dans ce domaine pour peu qu'il y ait une reprise de la formation. Le marché décroché par une unité de Jijel qui a été chargée de produire des chemises pour la Gendarmerie nationale est la preuve que le potentiel existe, a-t-il souligné.