De passage dans la ville de Beni Houa à Chlef, l'ambassdeur de Hollande, Henk Revis, qui a participé à l'hommage rendu aux naufragés du Banel, bateau à bord duquel se trouvaient des Hollondaises, nous a parlé des rapports fluctuants mais jamais distancés entre son royaume et les pays musulmans... Vous étiez en visite à Beni Houa à Chlef, où vous vous êtes rendu au mausolée de Mama Binette. Pouvez-vous nous rappeler, Excellence, comment s'est déroulée la rencontre avec les probables descendants des Hollandais ? En venant d'Oran, on a longé la côte et on s'est arrêté à Beni Houa. Là, on s'est renseigné auprès des jeunes en leur demandant s'ils étaient au courant de l'histoire du naufrage du Banel. Quelques-uns nous ont emmenés au mausolée. Cette première rencontre remonte à presque deux ans. La personne que j'ai rencontrée, un descendant du cheikh de la tribu, ayant épousé probablement Mama Binette, nous a donné le nom de son cousin qui n'est autre que Mokrane Hachemi, chargé de la communication au CCF d'Alger et descendant direct du cheikh. M. Hachemi s'était passionné pour cette histoire et a lancé des recherches en 2000. Il en résultera un livre, Déliés, avec pas mal d'informations historiques. On s'est entretenus à plusieurs reprises. Entre-temps, j'ai pris contact avec un historien en Hollande, pour qu'il fasse des recherches dans les archives nationales. Il a trouvé trois rapports rédigés par le consul de Hollande en Algérie. Des rapports assez précis sur le naufrage, rédigés à partir d'informations qu'il aurait recueillies de son collègue français ou des Turcs de la Régence. Ces trois rapports furent rédigés en six semaines. En s'y appuyant, on peut suivre le trajet du Banel depuis son départ du port de Toulon jusqu'à son naufrage, ou encore la réaction des autochtones. Des victimes, il y en a eu. La réaction des autochtones était démesurée, comme l'aurait été peut-être l'histoire donnée par le consul français. Le naufrage est raconté dans le premier rapport. Le deuxième parle des contacts avec le dey de l'époque (1802) et du consul de France. Le dignitaire a promis toute son aide et donné instruction au bey d'Oran de prêter assistance aux naufragés. Effectivement, le bey a envoyé des troupes qui ont évacué les survivants et deux bateaux les ont rapatriés. Le dernier rapport mentionne que les bateaux sont repartis avec un certains nombre de passagers dont on pouvait faire le compte. Sauf que, d'après ces mêmes rapports officiels, trois femmes ont été rapatriées, mais on sait qu'il y en avait aussi qui ont pu être accueillies par la population locale. De quelle origine étaient-elles ? La légende veut qu'elles soient toutes Hollandaises et peut-être même des religieuses, il reste que, dans nos archives, on ne trouve pas de trace. Le fait de « sauter » sur l'occasion n'était-il pas une manière de « casser » le mythe et de s'« approprier » des femmes, dont on ignore réellement l'origine ? Non, la légende, sauf avis contraire des historiens, confirme l'origine néerlandaise de ces femmes. Quel était l'écho que vous avez eu une fois sur place ? J'ai fait une visite dans la wilaya de Chlef en août dernier et j'ai expliqué au niveau de cette structure l'intérêt de cette action. J'ai eu l'accord des autorités et le wali s'est s'excusé de ne pouvoir venir et s'est fait représenter, lors de la cérémonie de la réception des travaux, par le secrétaire général. J'ai ressenti qu'il y avait un élan réel de la part des autorités. Des travaux ont été entamés dans le mausolée de Mama Binette, votre épouse y a pris part aussi... Au mois de décembre, avec Hachemi Mokrane, nous avions convenu de financer la restauration du mausolée. On a eu la chance de trouver en Mme Mokrane, une architecte confirmée et professionnelle, qui a une maîtrise réelle de la chose d'ailleurs, même les entreprises locales n'ont pas démérité. On a fait faire des carreaux ici à Alger et c'est mon épouse qui a choisi dans un livre d'histoire hollandais des motifs, parce qu'on sait que les deys « raffolaient » des carreaux de Delft. Nous n'avons pas eu que des relations toujours « apaisées » depuis plus de 400 ans. Du côté algérien, on défendait une certaine souveraineté et on imposait un droit de passage aux navires qui se trouvaient au large des côtes barbaresques, alors que les nôtres défendaient la liberté. D'ailleurs, un de nos grands juriste a écrit un livre qui résume notre politique intitulé Mare Librum (mer libre). Sauf que les deux thèses se défendent et des modus vivendi furent retrouvés par la suite. L'histoire de la capture des marins a eu l'intérêt de tisser des relations. Le don de 7000 euros que j'ai fait, tout en restant symbolique, sert à raffermir les relations. Mais ne trouvez-vous pas que l'actualité bouscule un peu ce passé de relations mutuelles, surtout après la diffusion par le député néerlandais du film sur le Prophète. Votre geste ne risque-t-il pas d'en subir les contrecoups ? Malheureusement, l'actualité coïncide avec cet événement malheureux. Au niveau de l'ambassade, on a entrepris une réelle pédagogie, en envoyant des explications faites par notre gouvernement. En expliquant, à cet effet, que la position du gouvernement n'est pas celle du réalisateur qui a, pour des raisons politiques, pris une attitude assez virulente. Nous avons une population de 16 millions d'habitants, dont plus de 1 million de musulmans, pour la plupart des Marocains et des Turcs. Nous avons une tradition de liberté de culte et d'enseignement. Nos églises ont souvent assuré l'enseignement et les services sociaux et sanitaires. Il est offert aux nouveaux venus les mêmes conditions. Sauf que le désavantage de cette politique est que les étrangers pratiquant leur foi, risquent de rester dans leur « ghetto », ce qui mène souvent à la confrontation. Un jour, dans un petit quartier habité par des Hollandais de souche, un Marocain s'est acheté un appartement avec une petite terrasse, et à l'approche du Ramadhan, il égorge un mouton, cela n'est pas « très bien vu ». Malheureusement, il y a certains groupes qui exploitent ces peurs pour des raisons politiques. La situation actuelle au Danemark s'explique-t-elle par des politiques nationales qui ne tiennent pas compte des réalités ? Ne nous confondez pas avec le Danemark, dont le gouvernement n'a rien fait, alors que le nôtre a pris une position très claire en disant que ce n'est pas notre position et qu'on ne veut pas insulter les gens. Reste qu'il y a la liberté d'expression, mais on se rend compte que cette liberté doit se limiter à certaines normes de politesse. Le défi actuel est d'aider les communautés à vivre les unes avec les autres. On est souvent sévère avec notre politique d'immigration qui laisse les gens « trop libres », ce qui a provoqué le phénomène de ghettos. On voit actuellement de nouveaux venus qui s'intègrent, apprennent notre langue sans qu'on les y contraigne. La décision des Danois de « quitter » l'Algérie ne risque-t-elle pas de se reproduire chez vous avec toutes les tensions que connaît la région ? Je n'ai pas de commentaires à faire sur la décision des Danois. Il n'y a pas eu de consultations à notre niveau, mais peut-être au niveau des capitales. Je pense que c'est une décision prise à la suite de certaines menaces. Nous avons, à un moment donné, pris nous aussi des décisions douloureuses en retirant notre personnel lors des années chaudes, plus exactement en 1994. Pendant presque deux ans, on n'a pas eu de personnel ici. En rétrospective, c'était regrettable parce que les contacts ne se bâtissent pas d'un jour à l'autre, mais les contacts peuvent se perdre d'un jour à l'autre. On est revenu en 1996 et je suis le quatrième à occuper le poste depuis la « réouverture » de la représentation. Les relations avec l'Algérie se sont raffermies, surtout dans le domaine économique, qu'en est-il exactement ? Nous sommes un pays commerçant de tradition, et l'Algérie est devenue, depuis le début de la décennie, un élément important dans le domaine énergétique et tous s'en rendent compte. Cela est un atout de l'Algérie, puisque tout le monde est conscient du danger d'être coupé de la fourniture énergétique. L'afflux de la manne pétrolière permet aussi à l'Algérie de se lancer dans des projets énormes, nécessitant un transfert de technologie. Nous y prenons part. Des entreprises hollandaises ont de réels investissements en Algérie. Il y a Shlumberger, société anglo-néerlandaise, la brasserie Heineken, qui prendra de l'ampleur, l'autre entreprise, qui vient d'ouvrir à Constantine, est petite mais très intéressante, elle produit plusieurs sortes de piles solaires. Ces appareils sont exportés, pour la plupart, dans les pays d'Afrique noire et permettront aux villageois de s'éclairer à l'énergie électrique. J'aime beaucoup ce projet, car on voit qu'un investissement de l'autre côté de la Méditerranée peut installer une nouvelle activité économique destinée à l'exportation et qui aidera surtout l'Algérie à s'ouvrir. Quel est votre atout par rapport aux autres concurrents ? Il y a un environnement économique qui laisse réticents nos investisseurs. La frilosité de la plupart des investisseurs s'explique par l'insécurité, la rareté du foncier et aussi le problème des banques qui suivent mal le développement. Vous avez du chemin à faire. Il est intéressant de créer une chaîne de production dans les domaines de l'agriculture et nous allons avec votre ministère de l'Agriculture monter des entreprises pilotes. Nous offrons par ailleurs des aides et des contrats se préparent déjà.