L'élection d'un président de la République intervient après six mois de retard et 19 reports. L'accord conclu, mercredi dernier à Doha par les principaux leaders libanais, connaît aujourd'hui un début d'application, en attendant que ses autres clauses soient, elles aussi, mises en œuvre. C'était l'acte le plus urgent, parce qu'il y a vacance depuis le mois de novembre dernier, mais aussi l'opération la moins complexe dans le paysage institutionnel et politique libanais. Les députés libanais doivent élire au poste de président de la République celui qu'on appelle communément le candidat du consensus, sauf que ce consensus n'a pu se traduire concrètement, puisque l'élection n'a pu se tenir, faute de quorum, mais surtout faute d'accord politique sur ce qui doit accompagner cette élection. En apparence, ces questions ont été réglées, puisque toutes les parties signataires de l'accord de Doha s'en montrent satisfaites. La voie est donc dégagée grâce à une médiation de la Ligue arabe et aussi à la disposition des parties libanaises, certainement lassées de cette situation de blocage d'autant plus qu'il y a eu recours aux armes pour briser le statu quo. C'est ainsi que les députés libanais vont élire aujourd'hui le nouveau chef de l'Etat, le général Michel Sleimane. L'élection amorce la relance des institutions paralysées depuis novembre 2006. Sitôt élu, le chef de l'Etat entamera des tractations en vue de désigner un Premier ministre, dont le nom pourrait être connu mardi, puis de former un gouvernement qui sera aux rênes du pays jusqu'aux élections générales de 2009. Mais le général Sleimane a prévenu qu'il ne pourrait assurer seul la sécurité du pays. « La sécurité ne peut être gagnée par la force, mais à travers une volonté politique. Un seul parti ne peut seul construire le pays », a-t-il déclaré au quotidien As-Safir, proche de l'opposition. Depuis décembre, la majorité parlementaire et l'opposition étaient d'accord sur le nom du Président, mais les luttes de pouvoir empêchaient l'élection. Chef de l'armée depuis 1998, le général Sleimane, 59 ans, fait figure d'homme de consensus pour être resté à l'écart des rivalités politiques et confessionnelles. L'accord de Doha a soulevé un vent d'optimisme au Liban, mais s'il désamorce les tensions, il n'a été acquis qu'au prix d'un recul du gouvernement face au Hezbollah et ouvre une page d'incertitude, puisqu'il modifie le rapport de force au sein du pouvoir. Cet accord représente « un important succès pour tous les Libanais », a affirmé, vendredi, le numéro deux du Hezbollah, Naïm Qassem. Par les armes, l'opposition dans son ensemble, et pas uniquement le seul Hezbollah, a eu gain de cause sur sa principale revendication, la minorité de blocage. Le coup de force du Hezbollah, qui en dépit de ses engagements a fait usage de ses armes contre des Libanais, a laissé « une blessure très profonde », relève Atef Majdalani, un député de la majorité. Comme beaucoup de ses collègues, il vit sous haute protection depuis des mois pour échapper à une vague d'assassinats. « Il est trop tôt. Avant de rentrer chez nous, nous allons attendre l'élection, le nouveau gouvernement puis le rétablissement de la confiance. Cela peut prendre trois mois », explique Ryad Rahal, l'un de ces députés qui vit, avec une quinzaine d'autres, dans un hôtel de Beyrouth. « Nous verrons alors si toutes les parties sont décidées à tourner la page », ajoute Henri Hélou, un autre député également proche de la majorité. « Il s'agit de toute évidence d'un compromis entre le gouvernement et l'opposition, mais pas d'une solution à la crise », résume la politologue Amal Saad-Ghorayeb. « En aucune façon, il ne prend en compte les différends qui ont conduit à la crise actuelle », remarque cette spécialiste du Hezbollah. Cet accord permet toutefois « une remise en route institutionnelle, c'était vital », relève Patrick Haenni, analyste du groupe de recherche International crisis group (ICG) à Beyrouth. « Il s'agit d'un accord très significatif, capable de résoudre l'actuel bras de fer et d'instaurer un nouvel équilibre du pouvoir », estime Paul Salem, le directeur de la fondation Carnegie pour le Moyen-Orient. « Toutes les décisions relatives à l'armement du Hezbollah ont conduit à une impasse », estime Mme Saad-Ghorayeb, en rappelant que la récente flambée de violence a eu pour origine deux décisions gouvernementales qui visaient le parti chiite. Après avoir annulé ces deux mesures, sous la pression des événements, le gouvernement a une nouvelle fois reculé en acceptant la minorité de blocage réclamée par l'opposition au sein du gouvernement. « On peut parler d'une victoire pour l'opposition, puisque les lignes rouges fixées par la majorité sont tombées, avec la minorité de blocage », souligne Patrick Haenni. A ce niveau, il est important que les armes se soient tues, mais pour combien de temps, car les Libanais eux-mêmes appréhendaient cette phase, il y a au moins deux années, quand majorité et opposition ont décidé de se tourner le dos.