Les commerçants de l'ancienne ville de Souk Ahras ont entamé, hier, une grève illimitée pour protester contre la prolifération excessive des étals de fortune installés par les marchants ambulants devant leurs magasins. Les artères principales, totalement squattées par ces derniers, sont défigurées par les cartons, les tentes en plastique et les objets hétéroclites étalés à même le sol. Chaussées, voitures, carrosses, même les vitrines des commerçants sédentaires sont exploitées par ces marchands, formés en groupes familiaux ou originaires d'une même région de la wilaya. « Nous nous acquittons régulièrement de nos redevances pour être, en contrepartie, protégés contre ce fléau qui a atteint des proportions alarmantes. Ce n'est plus le petit vendeur à la sauvette qui s'installe timidement dans une rue commerçante pour écouler sa marchandise et repartir. Il s'agit, actuellement, d'un marché parallèle qui obéit à une hiérarchie et à des gestionnaires parallèles », a déclaré un commerçant gréviste. D'autres ont parlé de quelques autres maux sociaux qui accompagnent inéluctablement la pagaille qui y règne, notamment les vols à la tire et les agressions. Les marchands ambulants ne sont pas du même avis et se disent, à leur tour, victimes du chômage latent qui règne à Souk Ahras. B.M., jeune universitaire, nous lance avec amertume : « Tout le monde tente de diaboliser l'autre en Algérie. Je n'ai pas l'habitude des discours grandiloquents avec la presse. Je vous demande seulement de transmettre ceci : trouvez-nous autre chose pour gagner notre vie honnêtement, et si vous allez user de publicité au profit du nouveau dispositif, allez voir vous-même ce qui se passe dans les institutions chargées de mener cette opération ». Abondant dans le même sens, ses amis parleront à satiété d'absence de débouchés et révéleront des pratiques d'un autre âge qui ont pignon sur rue dans cette partie de la ville. Des groupes de marginaux, autoproclamés « protecteurs » de ces lieux publics, procèdent, en usant de menaces, au racket de ces mêmes marchands ambulants et appliquent des droits sur les étals de fortune improvisés sur la voie publique. Un code d'honneur entre ces commerçants et leurs prédateurs est de rigueur : si tu n'as pas suffisamment d'alliés pour affronter ces bandes organisées, tu dois abdiquer sans souffler mot aux services de sécurité et t'acquitter, selon les cas, de 100 à 200 DA/jour ou 2 000 à 3 000 DA/mois. Chose qui explique le phénomène des batailles rangées aux rues Ibn Badis, Victor Hugo et les Fidayine. Pour avoir refusé de payer cette dîme, Z.M.Y., 26 ans, a failli passer de vie à trépas, après avoir reçu un coup de couteau assené au niveau de la poitrine. Evacuée en urgence vers un hôpital de Annaba, la victime est encore sous surveillance médicale, apprend-on de ses amis. Libérer un centre-ville pris en otage et repenser un chômage endémique loin des bilans de bonne santé est l'équation qu'il faut discuter pour éviter les débordements dans un sens comme dans un autre.