Le travail humanitaire et le travail journalistique sont-ils conciliables ou, plus précisément, convergent-ils vers des intérêts communs ? La réponse est affirmative pour les responsables du Comité international de la Croix-Rouge (CIC-R), qui semblent accorder une attention grandissante à la problématique de protection des journalistes exerçant dans des zones de conflit armé. C'est la raison pour laquelle l'organisation humanitaire a organisé, pour la quatrième année consécutive, une rencontre au Caire (Egypte), destinée aux professionnels de l'information de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena), élargie cette fois à la Turquie et au Soudan. Au cours de cette session, qui s'est tenue du 12 au 14 décembre dernier à l'hôtel Pyramisas, il a beaucoup été question de la relation entre les organes d'information et le CIC-R, en tant qu'“organisation indépendante”, du renforcement de cet “espace d'échanges” et surtout de la recherche des “voies pour une meilleure coordination” entre les deux parties, dans l'intérêt des victimes des conflits armés. “Le Comité international de la Croix-Rouge n'est pas une organisation gouvernementale (…). Il n'obéit à aucune orientation d'aucune partie et travaille pour l'évolution du droit international humanitaire”, a expliqué le président de la délégation du CIC-R en Egypte, Gérard Peytrignet, à l'ouverture des travaux. Ce dernier a rappelé que son organisation, fondée il y a quelque 150 ans en Suisse, reste attachée aux lois internationales, le droit international compris. Selon la carte de 2007, le CIC-R, dont le siège est basé à Genève (Suisse), est présent dans plus de 60 pays à travers des délégations, au nord de l'Afrique et au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe occidentale et centrale et dans les Balkans, en Europe orientale et Asie centrale, en Asie et Pacifique et dans les Amériques. Mais il est également actif dans d'autres pays et dispose de missions et de délégations auprès d'organisations gouvernementales. Dans la région nord-africaine, le Comité est présent à travers une délégation installée à Alger, une délégation régionale établie à Tunis, qui couvre la Tunisie, la Libye, la Mauritanie, le Maroc et le Sahara occidental, ainsi qu'une autre délégation régionale basée au Caire. Cette dernière, couvrant les 22 pays de la Ligue arabe, est chargée de certains programmes et de certains services, selon ses responsables. C'est-à-dire toutes les activités liées à “l'action préventive dans le domaine de la communication, de l'enseignement, de la diffusion du droit humanitaire, avec les différents publics”. Pour ce qui est de la région du Moyen-Orient, les délégations du CIC-R sont implantées dans un certain nombre de capitales, telles que Téhéran (Iran), Amman (Jordanie), Beyrouth (Liban), Damas (Syrie) et Sanaâ (Yémen). Dans cette région, l'organisation humanitaire est aussi présente à travers sa délégation régionale du Koweït, qui chapeaute le Koweït, Bahreïn, Oman, le Qatar, l'Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis (EAU). Le CIC-R a, en outre, installé une délégation à Amman, pour le cas de l'Irak, alors qu'en Palestine, il dispose d'une délégation basée à Tel-Aviv, chargée de suivre la situation en Israël et dans les territoires palestiniens, de même que d'une mission à Jérusalem et d'un bureau à Gaza. Au cours du récent atelier cairote, les représentants du Comité international, aussi bien centraux que régionaux, ont tenu à réaffirmer les principes de travail du CIC-R, à savoir “la neutralité, l'impartialité, l'indépendance et la confidentialité”. Ces principes, d'après eux, ont pour finalité de permettre à l'organisation humanitaire d'approcher toutes les parties en conflit et à gagner leur confiance, mais aussi d'être présente dans les régions sous tension, même là “où les autres organisations ne sont pas tolérées”. Pour apporter assistance aux victimes des conflits, y compris en matière de soins, d'alimentation, d'eau et d'habitat, pour protéger les civils, soulager les souffrances des exilés et visiter les prisonniers, ainsi que les otages dans les deux camps. “Le CIC-R a pour principe d'être neutre pour gagner la confiance des différentes parties du conflit. Mais, dans certains cas, il élève la voix pour parler des violations (au droit international humanitaire, ndlr)”, a soutenu le chef de la délégation d'Egypte. Non sans préciser, sur le registre de la confidentialité, que son organisation développe “un dialogue constructif” avec les autorités nationales. Un “fil chaud” destiné aux journalistes Ces dernières années, avec l'émergence de conflits armés internes, connus sous le nom de “conflits armés non internationaux”, aux côtés des guerres opposant des armées régulières, des guerres d'occupation et des guerres de libération nationale, le Droit international humanitaire (DIH) est redevenu un sujet de l'heure. “Le DIH est un ensemble de lois qui cherche l'équilibre entre les urgences militaires et les considérations humanitaires”, a révélé Chérif Atlam, coordinateur régional et conseiller à la délégation du CIC-R du Caire. Pour ce responsable connu de l'Algérie, particulièrement des magistrats, le DIH doit être appliqué dans les cas aussi bien d'un conflit international que d'un conflit armé non international. Un autre point de vue a été développé par notre confrère d'Afrique-Asie, Abdelaziz Ben Hassouna Barouhi qui, lui, a laissé entendre qu'avec l'évolution des rapports mondiaux, le Conseil de sécurité est “devenu une salle d'enregistrement pour affaiblir le droit international”. “Le CIC-R était conforté jusque-là par un Conseil de sécurité qui appliquait plus ou moins le droit international. Mais, à présent, le filet sécuritaire du CIC-R n'existe plus”, a-t-il révélé. M. Barouhi a, en outre, admis que les journalistes sont aujourd'hui “très mal outillés” pour expliquer le DIH à leur public et, surtout, pour sortir de la spirale d'instrumentalisation émanant des “spécialistes, faiseurs de guerres”. D'autres interventions, toujours suivies par des débats, ont porté sur les conditions de travail, souvent dramatiques, de reporters de guerre et de journalistes exerçant dans des régions à conflit, poussant ainsi le CIC-R à mettre en place une ligne téléphonique (+ 41 79 217 32 85), qu'il a baptisée “fil chaud”, pour permettre aux médias, mais également aux autres civils, de le contacter à tout moment. Il y a lieu de relever que la 4e session du Caire a été l'occasion pour les journalistes et les organisations humanitaires, le CIC-R, qui a été rejoint à la clôture du séminaire par le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) d'aborder le champ d'application du droit international et celui du droit international humanitaire. Sans oublier l'examen des dispositions contenues dans le DIH portant, notamment, sur la protection des professionnels de l'information. La rencontre a, par ailleurs, permis d'approcher différentes expériences journalistiques, particulièrement en Irak, dans les territoires palestiniens et au Liban, en mettant en avant les difficultés d'accès à l'information et, parfois, le “manque de professionnalisme” des reporters ou leur “manque d'expérience”, lié à la méconnaissance du DIH, dans des situations conflictuelles. Il a même été convenu que “la protection internationale des journalistes enregistre des insuffisances”. Le séminaire a surtout donné l'opportunité aux représentants du CIC-R de parler de leur travail dans différents endroits, que ce soit en Israël et dans les territoires palestiniens, “libérés et occupés”, au Darfour, en Irak ou au Liban, etc. Comme ils ont eu la possibilité de s'exprimer sur les efforts déployés, dans le cadre du travail de sensibilisation et d'explication du droit humanitaire, ainsi que sur “les contraintes” rencontrées dans la prise en charge des personnes dans le besoin. Enseignement du DIH : une opération-pilote en 2008 Au cours des débats, des reproches ont été adressés aux humanitaires de n'avoir pas toujours été présents (ou à temps) dans les zones chaudes, pour secourir les victimes, de se suffire parfois des informations leur parvenant de ces régions, sans vérifier leur exactitude. Des participants ont laissé entendre que “le DIH ne protège pas la partie faible”, d'autres, en revanche, se sont interrogés sur l'indépendance du Comité international, alors qu'il est financé “essentiellement” par les Etats-Unis et, à un moindre degré, par l'Union européenne. Ces échanges, loin d'opposer les parties, ont plutôt permis de (re)découvrir des points communs, tels, par exemple, l'exposition à des dangers certains et la difficulté d'obtenir, fréquemment, des informations précises. Ils ont en outre montré que beaucoup reste à faire, tant du côté du CIC-R que du côté des médias, y compris sur le chapitre du dépassement des “idées reçues”, pour gagner davantage des espaces de droit dans différentes parties du monde. Ce qui nous ramène à l'utilité, voire à l'intérêt de tels rassemblements. La session 2007 du Caire s'est achevée avec l'annonce du lancement, à partir de l'année 2008, d'une opération-pilote qui consiste à introduire l'enseignement des principes du droit international humanitaire dans certains instituts du journalisme, éventuellement en Tunisie et en Egypte. “Si l'opération réussit, elle sera alors généralisée à d'autres instituts”, a annoncé Mme Tamara El Rifai, chargée de la communication au niveau de la délégation régionale du CIC-R. Le droit international et, notamment, le droit international humanitaire peuvent-ils être étudiés, aujourd'hui, en faisant abstraction des nouveaux rapports de force à l'échelle planétaire, de l'entrée en scène de nouveaux acteurs (autres que l'Etat), des pressions des lobbies et des ingérences des puissants de ce monde ? Et l'analyse de la relation entre le CIC-R et les organes d'information doit-elle faire l'impasse sur “la guerre de l'information” et les difficultés souvent rencontrées par des journalistes exerçant dans les régions à conflit ou des reporters de guerre ? Ces éléments demandent certainement à être approfondis davantage de part et d'autre. C'est dire, d'une certaine manière, que la réflexion sur la place du droit dans le nouveau système international doit se poursuivre encore pour faire prévaloir les valeurs humaines et humanitaires. H. A.