Et de trois pour Ahmed Ouyahia. Après avoir cédé sa place à Abdelaziz Belkhadem, le secrétaire général du RND revient au Palais du gouvernement. Palais « découvert » par Ahmed Ouyahia en décembre 1995 lorsqu'il avait été nommé, pour la première fois, chef du gouvernement par Liamine Zeroual pour y rester pendant trois ans. Pourquoi a-t-il quitté ce palais en 2006 pour y retourner deux ans après ? Là, on nage dans les eaux profondes de la politique algérienne. Pas de logique. Pas d'explications. Mépris total pour l'opinion nationale. Mais capacité hors normes de recycler le même personnel politique. Belkhadem-Ouyahia-Ouyahia-Belkhadem... ce jeu peut continuer à l'infini tant le circuit est fermé. La preuve ? Belkhadem ira occuper le poste que Ouyahia avait occupé pour un temps éphémère : représentant personnel du président de la République. Puisque l'exercice est tellement amusant, Ouyahia reprendra peut-être la place de Belkhadem pour faire des voyages au nom du chef de l'Etat algérien et Belkhadem continuera la gestion des dossiers à la tête du gouvernement... Ahmed Ouyahia, 56 ans, est nommé pour la troisième fois chef du gouvernement. A-t-il échoué dans ses précédentes missions ? A-t-il réussi ? En 2006, Ahmed Ouyahia est parti sans faire de bilan devant le Parlement. Il a violé d'une manière manifeste la Constitution qui l'obligeait à le faire avec l'accord du président Abdelaziz Bouteflika. Abdelaziz Belkhadem n'a pas fait mieux : il part sans présenter sa déclaration de politique générale devant l'APN. L'APN, chambre basse du Parlement où s'expriment – théoriquement – les représentants du peuple, se tait. Elle n'a pas demandé à Abdelaziz Belkhadem de venir défendre son bilan. Comme elle n'a pas exigé du gouvernement, comme cela est prévu par la Constitution, de présenter la loi du règlement budgétaire qui contrôle, à chaque fin d'exercice, les dépenses autorisées par la loi de finances. Deux obligations constitutionnelles piétinées au grand jour. Et cela ne fait pas scandale. Belkhadem savait bien qu'il allait partir puisqu'il avait lui-même annoncé le remaniement ministériel début juin 2008. Mauvaise habitude Il aurait pu accélérer la machine et respecter les règles constitutionnelles en présentant à la population ce qu'il a réalisé et ce qu'il a raté. Et puis, pourquoi Abdelaziz Belkhadem est-il prié de partir à dix mois de l'élection présidentielle ? S'agit-il d'une sanction ? Ou plutôt d'une promotion ? On n'en sait rien. Pourtant, Abdelaziz Belkhadem aura été l'homme qui a le plus défendu l'option d'une révision constitutionnelle pour permettre à Bouteflika de rester au pouvoir. Va-t-il continuer à le faire loin des lumières ? Aura-t-il la même marge de manœuvre au sein du FLN, parti qui garde la majorité au Parlement sans gouverner ? Abdelaziz Bouteflika, qui n'a jamais rompu avec les méthodes de gestion d'un autre âge, n'explique pas ses actes. Comme cette habitude à faire tourner les ministres d'un poste à un autre. Pourquoi Saïd Barkat, qui a échoué dans le secteur de l'agriculture, va-t-il réussir dans celui de la santé, qui est encore plus sensible ? Habitude aussi à changer de gouvernement chaque deux ans. Tout compte fait, Bouteflika aura « consommé » sept gouvernements en neuf ans de gestion et une bonne centaine de ministres ! C'est l'expression « nette » et « brillante » de l'échec continu. Humainement, il n'est pas possible pour des ministres de se concentrer sur leur travail s'ils ne sont pas sûrs de rester à leur poste dans les mois qui suivent leur nomination. Techniquement, aucun dossier ne peut avancer d'une manière correcte et efficace sans suivi. La tradition algérienne, foncièrement mauvaise, fait que chaque nouveau responsable s'invente un style, efface, autant que faire se peut, l'action de son prédécesseur, fait du bruit en intensifiant l'activisme et jongle avec les chiffres pour impressionner. Les changements des gouvernements et les remaniements ministériels renforcent cette tradition et font tourner l'économie du pays dans le vide, comme les roues d'un véhicule au bord d'un ravin... La méthode Bouteflika est utilisée également pour les corps des walis, des chefs de daïra, des magistrats, des recteurs d'université, etc. Les retombées de cette « gouvernance » sont claires : crise de confiance et de représentation, émeutes cycliques, problème persistant de logement, chômage endémique, phénomène de harraga, faillite de l'agriculture... Il est bien d'engager des sommes colossales dans d'immenses projets d'équipement, mais cela ne sert à rien s'il l'on ne rompt pas définitivement avec la culture du bricolage.