Hamlaoui Mekachera, ministre délégué français aux Anciens combattants auprès de la ministre de la Défense, évoque dans cet entretien la mémoire et l'histoire franco-algériennes. La France célèbre le 60e anniversaire de sa libération. Le 6 juin, c'était la commémoration du débarquement des alliés en Normandie. Le 15 août celle de la libération de la Provence pour laquelle les combattants des ex-colonies se sont particulièrement illustrés. Quels sont les temps forts de ces cérémonies ? La célébration du débarquement de Normandie a nécessité un déploiement assez important en matière de commémoration, de sécurité, de rappel de l'histoire et cela a été assez bien perçu pour ne pas dire bien perçu par les Français eux-mêmes, mais également par tous les pays qui ont participé à cette épopée. Le deuxième espace qui va être occupé par la commémoration est la Provence. Seront présents, nous l'espérons, les chefs d'Etat et de gouvernement qui ont été conviés par le président de la République, Jacques Chirac, et qui sont une vingtaine. Ils seront les témoins de cette commémoration Nous voudrions qu'elle soit le mieux perçue par les acteurs eux-mêmes de ces générations-là mais également par tous ceux qui, au sein de l'armée française, ont combattu pour libérer le territoire français. Il y aura, bien sûr, les chefs d'Etat des pays maghrébins qui sont conviés. Nous espérons que le président Bouteflika sera là et qu'il partagera avec nous cette émotion, ce rappel du passé. Nous avons également invité à la participation à la revue navale la Marine nationale algérienne. Nous n'avons pas encore les réponses qu'il convient, c'est peut-être un peu tôt. Il y aura aussi les vétérans comme on les appelle, c'est-à-dire les anciens combattants de cette époque-là, ceux qui ont donné à la France et aux Français cette liberté dont ils bénéficient actuellement. Il y aura deux bateaux, le porte-avions Charles de Gaulle, qui sera le site principal de la cérémonie, puis le bâtiment atelier Jules Verne et une tribune de 2000 places qui sera consacrée à la réception de nos invités. Y aura-t-il des gestes symboliques ? Il y aura d'abord les décorations, notamment le premier ordre national, c'est-à-dire la légion d'honneur. Environ 200 croix de légion d'honneur seront décernées aux vétérans qui seront là ; à ceux qui ne pourront pas venir, les insignes seront remis dans nos ambassades. Comment définissez-vous et appréciez-vous la part prise par ces combattants à la libération de la France, particulièrement les Algériens ? Les anciens combattants d'origine algérienne se trouvaient globalement dans une grande unité, la troisième Division d'infanterie algérienne (3e DIA), qui est devenue la première armée. La 3e DIA a participé à la libération de la Tunisie, de l'Italie, au débarquement de Provence, où notamment à Cavalaire, ont débarqué les Algériens et ont commencé cette grande épopée de tout le sillon rhodanien en allant jusqu'en Alsace et en Allemagne. S'il n'y avait pas eu cette tenaille avec la Normandie, d'un côté, et la Provence, de l'autre, on aurait eu plus de difficulté, voire l'impossibilité de libérer le territoire français. On doit tout cela aux soldats maghrébins et africains, particulièrement algériens. Qu'en reste-t-il dans la mémoire française ? Il reste beaucoup de choses. Lorsque je préside des cérémonies, je suis étonné par la mémoire fidèle des Françaises et des Français. Aux jeunes générations, c'est à nous de passer le témoin de la mémoire. C'est notre devoir, et si on ne le faisait pas, ce serait une faute. Quelles sont les actions que vous avez engagées pour transmettre cette mémoire aux jeunes générations françaises et aux enfants d'immigrés ? L'Office national des anciens combattants (ONAC) a pour mission la recherche, la saisie et la transmission de la mémoire. Nous avons également la direction de la mémoire et des archives. En direction des jeunes, nous avons fait un effort important à partir du milieu scolaire, car c'est là que se trouvent les futurs responsables de notre pays. Que ce soit envers les populations des quartiers dits difficiles ou des habitants plus aisés, cette page d'histoire est une espèce de cofraternité qui doit prendre racine à partir du moment même où la transmission du relais se fait. J'ai été extrêmement étonné dans les cérémonies auxquelles j'assiste, de la présence de jeunes en grand nombre. Ils ne demandent rien, mais ils sont très attentifs. Il n'est pas exceptionnel de voir à l'Arc de Triomphe des anciens combattants, notamment d'origine algérienne, et qui arborent leurs médailles gagnées sur le front d'Italie ou de France avec fierté. Nous avons également réalisé ce qui, pour nous, est une obligation morale et matérielle : l'opération de décristallisation des pensions d'anciens combattants et des retraites d'anciens militaires des pays qui étaient sous souveraineté française. Il a fallu pour ce faire attendre quarante ans ? Pourquoi avoir attendu si longtemps ? C'est un vieux dossier, un dossier que tout le monde ouvrait et refermait immédiatement tellement il était compliqué. En fait, c'est plutôt la volonté politique qui manquait pour le résoudre. Le président de la République et le Premier ministre ont été sensibles à cette iniquité qui existait entre des combattants qui ont été sur les mêmes terrains et qui ont produit les mêmes effets de cette libération du territoire. Nous avons pris en main ce dossier de la décristallisation depuis un an et demi. Les pensions et la retraite des anciens combattants des pays anciennement sous souveraineté française ont été, depuis, dégelées, sur la base de la parité du pouvoir d'achat, une règle dictée par les règles saisies par l'ONU. La décristallisation permet une rétroactivité de quatre années de rappel, la prise en compte de l'ouverture de l'aggravation pour ceux qui ont des pensions d'invalidité, ces invalidités évoluent hélas quelquefois. Elle donne dorénavant droit aux veuves à la pension de reversion. On assiste à des actes de dégradation et de profanation des tombes d'anciens combattants juifs et musulmans. Cette situation est-elle si grave au point d'amener le président Chirac à placer la célébration du 14 Juillet sous le signe de la « fraternité » et de la « lutte contre les intolérances » ? Il faut se servir de l'histoire qui nous donne souvent de bons exemples à suivre ou à ne pas suivre, et c'est dommage que l'on ne soit pas attentif. Les actes d'antisémitisme et de racisme sont inacceptables et ils peuvent produire des effets incontrôlables. Le nazisme est arrivé sans trop de bruit, sinon celui des bottes. Et nous avons payé le prix le plus cher pour recouvrer la liberté et la démocratie. L'antisémitisme et le racisme, c'est un poison contre lequel tout le monde doit lutter. Ce n'est pas simplement une affaire de gouvernement, c'est une affaire de tous les Français et, au-delà des Français, des peuples qui sont épris de liberté. Une page importante de l'histoire franco-algérienne va être commémorée dans quelques semaines : le 50e anniversaire de la guerre d'indépendance de l'Algérie. Le moment ne serait-il pas venu pour la France de reconnaître ses responsabilités coloniales et les préjudices causés au peuple algérien ? La guerre d'Algérie laisse des blessures, et elle en laissera encore très longtemps. Le plus raisonnable est d'essayer d'avoir le recul nécessaire pour ne pas enfouir les réalités dans l'absurdité. Nous sommes en train, le président de la République, le Premier ministre et moi-même, de mettre en place une fondation qui aurait entre autres compartiments, celui de la mémoire. Cette fondation s'occupera de l'histoire. Des historiens se pencheront sur cette page de notre histoire avec loyauté, avec un certain nombre d'ouvertures vers les autres, d'archives. La vérité, même si elle doit faire mal aux uns et aux autres, doit s'imposer. Cette fondation est dans une phase procédurale. De même qu'un mémorial de la France d'outre-mer va être érigé à Marseille, un musée de l'immigration va être mis en place. Il mettra en relief ce que l'immigration, et dans l'immigration il y a l'Algérie en meilleure place, a apporté à la France, dont sa libération. Il y aura aussi tous les autres apports de ceux qui sont venus d'ailleurs. C'est un chantier multidirectionnel que nous essaierons de mener à bien. A quel âge avez-vous quitté l'Algérie ? Je suis parti à 18 ans puis j'ai fait des navettes. Mes parents étaient là-bas. Je suis de Souk Ahras. Je n'ai pas eu l'occasion d'y aller. Ma mère est enterrée là-bas ainsi que mon père et ma fille. Un jour, je retournerai, c'est évident. J'étais aux enfants de troupe à Miliana. J'étais dans ma prime jeunesse avec des enfants qui sont devenus des responsables de l'Algérie, comme Nezzar et Latrèche. Nous avons passé notre adolescence ensemble, et nous avons eu la même culture. J'ai ressenti cette émotion qui ne peut que prendre à la gorge quelqu'un qui revient chez lui après un certain nombre d'années d'absence. Je me sentais également extrêmement fier d'être dans une délégation qui venait échanger et souder des relations qui n'auraient jamais dû se distendre. J'étais heureux. Chacun des ministres nous étions cinq avait une mission particulière, j'espère que la mienne je l'ai menée à bien. Quelle était cette mission ? Ma mission consistait à coopérer sur des situations concrètes. Nous avons rouvert le centre d'appareillage des anciens combattants de Bab El Oued, que nous avions fermé il y a quatre ans pour des questions de sécurité. Nous avons construit des bâtiments dans le périmètre de l'ambassade de France. Le centre est à nouveau fonctionnel depuis deux ou trois mois par des accords avec des entreprises algériennes pour la fabrication de prothèses. Je compte bien y effectuer une visite avant la fin de l'année. Nous avons signé avec certains pays (la Corée, le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, la Grande-Bretagne, l'Australie...) des accords de mémoire partagée. Je souhaite qu'avec l'Algérie nous puissions en faire de même.