BENGHAZI (Libye) - En prenant le contrôle d'une importante localité du Sud-Ouest libyen, dans le Sahara oriental, les Toubous, une communauté ethnique en Libye, entendent démontrer qu'ils sont partie prenante dans la révolte contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi. Un groupe de rebelles Toubous, minorité du sud du pays, a attaqué mercredi la ville de Morzuk, dans la région désertique du Fezzan, pièce maîtresse dans le dispositif de Kadhafi et principale ligne logistique reliant Tripoli aux frontières du sud-ouest. Morzuk était jeudi sous le contrôle de ces rebelles, qui affirment avoir saisi du matériel militaire, tué une douzaine de soldats gouvernementaux et capturé cinq officiers. Ces informations n'ont pas été confirmées de source indépendante, dans une zone coupée du monde, à plus d'un millier de km de Tripoli, loin des lignes de front sur les côtes de la Méditerranée. Mais l'action est d'importance, dans une région --le Fezzan-- au carrefour des routes vers le Niger, le Tchad et l'Algérie. Ce noeud de communication vital, organisé autour de la capitale régionale Sebha, est une pièce maîtresse du dispositif de Kadhafi, où sa tribu --les Guedadfa-- joue un rôle politique et économique clé. Le groupe Toubou se fait appeler "Bataillon du bouclier du désert" et est dirigé par Barka Wardougou, selon l'un de ses représentants à Benghazi (est). Mi-juin, ses éléments avaient pris brièvement le contrôle d'al-Qatroun, plus au sud qu'ils avaient dû évacuer peu après sous la pression de renforts venus de Sebah. Présents dans le nord Niger et surtout le Tibesti tchadien, les Toubous sont localisés en Libye principalement autour des oasis d'al-Qatroun au sud-ouest, et de Koufra au sud-est. Des leaders Toubous séjournent actuellement à Benghazi afin d'obtenir un soutien du Conseil national de transition (CNT), l'organe politique de la rébellion. Les Toubous comptent un représentant au sein du CNT. Après la Cyrénaïque (est), coeur de la révolte, puis les montagnes berbères de Nefoussa (ouest), des Toubous se lancent donc à leur tour dans la bataille. "Toutes les régions de Libye avaient bougé jusqu'à présent, sauf le Sud. En prenant Morzuk, nous voulons envoyer un message clair à Kadhafi, montrer à nos compatriotes que nous prenons part à la révolte", explique un responsable du groupe, sous couvert d'anonymat. Souvent méprisés des tribus arabes, les Toubous ont été instrumentalisés par Kadhafi dans les conflits au Niger et Tchad voisins. Selon le clientélisme qui lui a si longtemps réussi, le Guide libyen leur garantissait un intéressement sur le commerce transfrontalier en échange de la stabilité de la région. "Nous n'y avons rien gagné. Aujourd'hui nous sommes pauvres, marginalisés dans notre propre pays. C'est pourquoi nous voulons agir pour chasser Kadhafi", affirme le même responsable. "Nous voulons notre part de la victoire, pour ensuite défendre les droits de notre minorité et oeuvrer au développement" de la région. La représentativité du groupe, comme son efficacité à terme sur le terrain, reste à vérifier. Ex officier de l'armée libyenne, un moment leader d'un mouvement rebelle nigérien (les FARS) inféodé à Kadhafi, Barka Wardougou est une figure chez les Toubous. Il a également passé plusieurs années dans les geôles du régime. "Il n'est pas question pour nous d'autonomie ou d'indépendance. Nous entendons simplement jouer notre rôle au sein de la nouvelle Libye", ajoute le même responsable. Et de mettre en garde: le jour où Tripoli tombe, Kadhafi jouera peut-être la carte de la déstabilisation du Sud, avec ses dollars, ses réseaux, notamment chez les Touaregs, et la menace toute proche d'Al-Qaïda. "Si on nous en donne les moyens, nous pouvons neutraliser ces réseaux et contrôler le désert", affirme le leader Toubou. "Il en va aussi de l'intérêt de l'Europe", avec le contrôle de la route des migrants sub-sahariens, et la lutte contre Al-Qaïda, dont l'influence dans le Sahara s'arrête précisément aujourd'hui aux territoires Toubous.