L'Europe, à son corps défendant, n'est pas encore sortie de la crise des subprimes ou, du moins, de la crise qui fut le prolongement de la première citée, qui avait plongé, dès 2009, les pays les plus affectés dans une crise sans nom, qu'on a appelée par la suite, la crise de l'euro, précipitant leur chute financière vers l'inconnu. L'Europe a failli en laissant inachevé son édifice financier, ne construisant celui-ci que sur une unité monétaire, alors qu'il lui fallait, pour être bétonnée et à l'abri des mauvaises surprises, l'accompagner d'une unité budgétaire et fiscale. Ce qui peut être aujourd'hui appelé le mensonge grec, qui a consisté dans un maquillage des comptes publics plusieurs années durant, et qu'un changement de gouvernement a éventé, montre bien les lacunes de l'édifice européen, dont l'Europe tout entière et, à sa tête, ses institutions financières et ses banques, n'ont pas encore fini d'en subir les conséquences. La gabegie budgétaire du frère grec est un héritage dont toute l'Europe doit aujourd'hui assumer le poids pour sauver à la fois l'euro et l'Europe. Ce qui est fait et semble bel et bien assumé, notamment par la France et l'Allemagne, les deux grands de l'Europe et également les plus grands créanciers de la Grèce. Mais s'il est vrai qu'un accord sur un deuxième plan d'aide à la Grèce a été entériné -il n'y avait aucune autre alternative-, libérant en faveur de la Grèce un montant total de 237 milliards d'euros, il n'en est pas moins vrai que le doute plane sur la capacité économique de la Grèce à gérer une situation financière aussi lourde, qui implique, forcément, quels que soient les termes qu'on choisira pour le qualifier, un véritable plan d'austérité budgétaire et d'austérité tout court. COMMENT EN EST-ON ARRIVE À CELA ? Les experts auront beau dire que la dette grecque était prévisible, la plupart n'y ont vu que du feu, d'autant plus que les gouvernements successifs ont préféré gérer une fausse prospérité plutôt que de faire face à une vraie crise. La forte croissance grecque qui a duré sept ans, soit depuis l'année 2000, année de l'avènement de l'euro, jusqu'à 2007, année du commencement de la fin de cette embellie, qui va finir par tourner au drame financier, faisant de la Grèce le premier pays à plonger dans la crise de la dette souveraine au lendemain de la chute de Lehman Brothers. A vrai dire, le modèle grec n'est pas aussi contracté que l'auraient voulu les constructeurs de l'Europe. La Grèce fonde son modèle social, dès 1974, année de la chute de la dictature, sur un volontarisme budgétaire qui s'accommode bien d'un secteur public digne de l'ère socialiste, doublé d'une politique de l'emploi où le fonctionnariat, secteur non productif financé par l'Etat, représente plus de 16% de la population active. A cause de cette gabegie, les années de prospérité qui ont fait vivre à la Grèce, une croissance additionnée sur 7 années, de l'ordre de 30%, n'ont pas permis à ce pays de surmonter sa dette publique qui ne cesse d'augmenter jusqu'à équivaloir le PIB. Corruption, fraude fiscale et secteur informel au poids structurant ont fini par compléter le tableau chaotique d'une économie à la dérive qui n'avait aucun garde-fou pour l'empêcher de sombrer. LES GRECS S'EVEILLENT À LA CRISE Le peuple grec vit cette crise comme un choc. C'est le sol qui se dérobe sous les pieds de la petite économie, emportant les petits commerçants et les petites et moyennes entreprises. Quels que soient les moyens déployés par les Européens pour sauver la Grèce, l'austérité à laquelle on promet les Grecs pour les obliger à honorer leurs engagements vis-à-vis du sauvetage européen, est pour la plupart une manière de soumettre les Grecs et d'accaparer, autrement que directement, les richesses longtemps convoitées d'un pays qui n'a jamais réellement eu les pieds bien ancrés en Europe. A ce dernier titre, d'ailleurs, les plus réalistes, parmi ceux qui se sont prononcés à travers les médias, trouvent que la raison profonde de la crise a été, à juste raison, le fait que les Grecs aient vécu au-dessus de leurs moyens durant des années, croyant qu'ils pouvaient se permettre de vivre dans le faste « à la manière des Européens ». Voilà, assénée, une remarque qui en dit long sur le sentiment d'appartenance à l'Europe quand, celle-ci, aujourd'hui, décide, pour la Grèce, de mesures qui, pour sauver l'économie grecque, doivent nécessairement coûter le prix le plus fort aux Grecs. ET LA GRÈCE DE DEMAIN Malgré la longue hésitation et les divergences qui ont empêché les pays européens de trouver, très vite, une solution efficace et urgente à la crise grecque, et malgré la consommation formidable de discours par les responsables politiques, qui inquiétait, un tant soit peu, sur un éventuel passage à l'action pour éteindre l'incendie athénien, l'Union européenne semble prête à payer le prix fort pour sauver, non pas la seule Grèce, mais plutôt aussi et surtout l'Europe unie et l'euro. Néanmoins, et au-delà des intentions et des prédispositions, les décisions, par étapes, qui ont caractérisé la gestion paneuropéenne de la crise grecque, ont aggravé la situation de ce pays et généré une tension sociale qui complique davantage les choses, sachant que la conditionnalité du sauvetage lie l'allocation de nouveaux fonds à l'application de mesures strictes en matière de gestion budgétaire. Une meilleure gouvernance économique est certes un gage sérieux de la part de la Grèce, à la fois pour aider l'Europe à mieux aider la Grèce, et pour rassurer les investisseurs, mais ce n'est pas vraiment ce qui peut, dans le cas de l'effervescence de la rue hellénique, susciter une adhésion des Grecs à une politique qui leur enlève le pain de la bouche en leur expliquant que c'est pour sauver l'économie. Ceci pour dire, en conclusion, que la Grèce est entrée dans un processus de sauvetage qui ne s'arrête pas à ces dernières mesures européennes, car en voulant à tout prix imposer l'orthodoxie financière dans le traitement d'une crise insurmontable, l'Europe a créé les conditions d'une pérennité de la crise grecque autant que l'engagement de l'UE au chevet de cette crise est si lourd financièrement qu'à chaque rechute les Européens iront à la rescousse pour sauver leurs créances.