Comment se concrétise cette solidarité dans l'un des restaurants de la Rahma au premier jour du mois sacré ? Notre choix a été le resto des Cheminots. Aux environs de 18h, la circulation des véhicules commence à diminuer au niveau de la rue Hassiba Ben Bouali, celle des personnes aussi. Les gens commencent à arriver à la place de la Liberté de la Presse, située à quelques mètres de ce resto de la Rahma. Tous des hommes, formés en petits groupes, ils guettent de loin, certains avec impatience, l'ouverture de la porte du resto. Une banderole bien accrochée à l'entrée sur laquelle on peut « restaurant des cheminots ». « Solidarité UGTA », est écrit en gros caractères rouges. Ici, comme l'ont fait durant les années précédentes l'UGTA et le Croissant-Rouge algérien, on prépare quelque 300 repas par jour, selon un organisateur. On trouve toutes les catégories de la société : du chômeur sans le sou dans la poche, en passant par le sans-logis ou encore les vieilles personnes abandonnées, mais aussi des agents de l'Administration et des cadres moyens. Histoire de manger à sa faim pour certains, et de faire quelques économies pour d'autres. « ÇA ME FAIT PLAISIR QUAND JE RENDS SERVICE AUX AUTRES » L'ouverture du resto a eu lieu vers 18h 30. Spontanément, les gens se bousculent pour prendre place à l'intérieur. Impatients, ils veulent coûte que coûte se mettre à l'abri des regards des passants. « La nourriture ne les intéresse pas, l'essentiel pour eux c'est de trouver une « chorba », nous dira un bénévole depuis plus d'une décennie. « Ça me fait plaisir quand je rends service aux autres », a-t-il ajouté. Un quart d'heure plus tard, tout le monde a pris sa place. Il y avait même quelques places vides pour les retardataires. Dans la salle, les discussions ont repris. Certains ont déjà fait connaissance à la placette. Ceux qui préfèrent le silence ont choisi de lire le journal, d'autres s'adonnent à des jeux téléchargés dans leurs téléphones mobiles, ou suivre le programme de l'ENTV via un grand téléviseur accroché au coin du resto. C'est l'exemple de Madjid, un jeune comptable travaillant dans une entreprise publique. « C'est le cinquième Ramadhan que je passe ici, les gens sont sympas, les mets sont bons et c'est tout près du dortoir où je passe la nuit ». De temps à autre Houcine met un tablier et aide le service. Concernant l'organisation au resto des cheminots, elle peut servir de modèle, peut-on dire. Quelque 20 jeunes très réceptifs, travaillent bénévolement durant ce mois sacré. Le menu toujours varié est revu chaque jour. Aussi, la chorba, plat incontournable durant ce mois de jeûne, composé de frik ou de vermicelle, c'est selon, est toujours prévu pour garnir la table des convives. « Des dons composés de yaourt ou de limonade pour l'essentiel, nous parviennent parfois. Nous en faisons bénéficier nos hôtes du jour en plus du plat habituel », dira un représentant du resto. Le menu du jour est constitué de l'incontournable « Chorba », des boulettes farcies, connues sous le nom de « M'thouam », de la salade, de la limonade et des yaourts. 20h 06. L'appel du muezzin se fait entendre à la télévision. L'appel à la prière a mis fin à toute discussion pour céder la place au cliquetis des cuillères. Plus besoin de s'attarder, chacun des jeûneurs a déjà le nez plongé dans son plat. Dehors, c'est le grand silence. Pas facile de s'épancher lorsqu'on a le ventre creux. Ammi Salah au regard anguleux, nous interpelle pour raconter sa malchance. Se trouvant depuis plus de 40 ans dans la capitale, l'homme a travaillé trente années durant comme fonctionnaire au sein d'une entreprise de transport. « Non je ne mérite pas cette situation, pourtant j'ai travaillé dur pendant toute ma vie », se lamente-t-il. Une autre personne, venue de Khemis Miliana et travaillant comme cordonnier à Alger préfère déjeuner dans ce resto que d'aller chez une famille. « C'est ici que je me sens à l'aise », a-t-il dit.