L'heure du f'tour, c'est aussi l'heure du réveil pour Alger. Le feu vert d'une ambiance nocturne. Une fois la chorba avalée, c'est une vie nocturne quasi inexistante durant l'année qui ressuscite. Les amateurs des longues nuits ramadhanesques s'éparpillent mêlant klaxon et vrombissements de moteurs avec toutefois une meilleure fluidité de la circulation. Les nombreux cafés, disséminés tout au long des boulevards et autres quartiers installent leur décor habituel. Les clients ne se font pas prier. Ils sont déjà là sur les terrasses à siroter un verre de thé ou une tasse de café. Comme le mois sacré est aussi synonyme d'une ferveur religieuse, des citoyens se précipitent vers les mosquées pour accomplir la traditionnelle prière de « Tarawih ». Les vieux s'adonnent à leur jeu préféré : le domino. Qui de mieux pour évacuer les tracas d'une aussi longue journée de jeûne. Le hic ? Le manque de transport. Rejoindre Alger- Centre pour les gens qui habitent loin est loin d'être une chose aisée. Pourtant, ce n'est pas les promesses d'avant Ramadhan qui manquaient. Rappel : l'Etablissement public de transport urbain et suburbain d'Alger (ETUSA) a assuré dans un communiqué sur la disponibilité de ses bus durant tout le mois. Mais force et de constater qu'entre ces déclarations et le terrain, la réalité est toute autre. Même les transporteurs privés, très présents la journée, ont décidé de faire l'impasse sur la soirée en dépit des instructions de leur fédération. Entre-temps, les citoyens font le pied de grue dans les différentes stations de bus. A titre d'exemple, la commune de Kouba. « Déjà en temps normal les transporteurs n'assurent pas d'une manière régulière le service, alors que dire durant ce mois... », déplore un citoyen qui patiente depuis presque une heure dans un arrêt de bus. Le cadran affichait alors 21h30. Une dizaine de personnes y attendaient impatiemment. « Depuis le début de Ramadhan, nous vivons l'enfer. Il nous est parfois arrivé d'attendre une heure pour pouvoir se déplacer », a-t-ajouté. Notre interlocuteur est un veilleur de nuit dans un établissement scolaire à Alger. Mais si les transports public et privé ont brillé par leur absence, il n'en est pas de même des clandestins. Ces derniers sont là pour jouer aux « sauveurs ». « Je viens du 1er-Mai. J'ai ramené avec moi une famille dont le père est un peu malade. Sans moi elle serait toujours sur place », indique un clandestin collectif. Il faut savoir que pour la destination Kouba-1er-Mai, le tarif est de 30 dinars. Il est de 20 dinars pour l'Etusa. Pour la même destination, les taxis réclament environ 80 dinars. LES MAGASINS PRIS D'ASSAUT Place du 1er-Mai, l'endroit grouille de monde. Jeunes, moins jeunes et vieux profitent de la vie nocturne. Ils occupent tout l'espace autour du jet d'eau, désormais fleuri. « Maintenant que l'estomac est bien rempli, place à la promenade pour oublier l'harassante journée de jeûne », annonce à sa femme un père de famille, non sans remarquer : « Regarde ces visages, le gens sont heureux excessivement heureux. Rien n'est plus affreux que de ne pas vivre dans son milieu ». Du 1er-Mai à la Grande-Poste en passant par la rue Hassiba-Ben-Bouali, tout brille littéralement. Les familles envahissent déjà les magasins, notamment d'habillement. « Les gens préfèrent acheter, le soir », note un commerçant qui s'attend à ce que le nombre des clients ira crescendo jusqu'à la veille de l'Aïd. Inauguré il y a une année, le métro d'Alger constitue désormais un atout inestimable dans le transport. Il a permis non seulement de réduire le temps, mais aussi d'assurer un déplacement agréable sans anicroches, ni bousculades. « Il est rapide et propre. Il ne suffit que de 11 petites minutes pour atteindre Alger-Centre depuis Ruisseau. Y a pas mieux pour une famille », souligne un père de famille rencontré à la station Tafourah de la Grande-Poste. Avis partagé par cette mère de famille habitant la cité Amirouche à Hussein-Dey. Elle ajoute que le prix pratiqué (50 dinars) n'a pas « trop d'importance » au moment où le même trajet coûtera plus cher en taxi ». C'est la même impression qui se dégageait chez d'autres citoyens qui voient toujours en ce moyen un avantage indéniable. L'un des préposés au guichet a souligné que le nombre des clients a augmenté depuis le début du Ramadhan, après la rupture du jeûne. Rue Larbi Ben M'hidi. Les néons des devantures plongent la perspective dans un décor de fête. Les magasins ne désemplissent pas. Même le Musée d'art moderne attire curieux et amateurs. Les amoureux de l'art sont là. Ils ont tenu à marquer de leurs empreintes leur présence en contemplant avec une concentration sans faille, les tableaux exposés. BAB EL OUED, UN QUARTIER QUI VIBRE Elle est depuis des années le réceptacle de beaucoup de familles de ce quartier populaire. La place El-Kettani, dans la commune de Bab El Oued, n'a rien perdu de son charme. Elle tient jalousement à son statut de destination privilégiée, notamment des habitants du quartier. L'ambiance est loin d'être ordinaire. Un lieu de divertissement par excellence dédié aux enfants. « Comme j'habite juste dans le coin, je ne rate jamais l'occasion pour y venir et permettre à mes enfants de s'amuser. C'est une véritable bouffée d'oxygène pour nous », souligne ce père de famille tout en regrettant le manque d'endroits similaires à Alger. Pas loin d'ici, la Fontaine de l'Espérance dans le jardin Taleb Abderahmene est toujours aussi bondée. A chacun son loisir. Certains lisent le journal, d'autre préfèrent jouer aux échecs ou aux dominos. En un mot : la joie bruyante. Alger c'est aussi ces ruelles parsemées de mendiants de toute origine et parfois regroupés en familles : enfants, père et mère. Ils s'installent devant les mosquées, les boulangeries, les cafés et bien d'autres endroits fréquentés par les riverains. Un autre fait : l'informel. Devant chaque mur s'adosse désormais l'étalage d'un marchand ambulant : kalb el louz, zlabia et autre charbet en sachet. Minuit passée, l'affluence baisse d'intensité. La foule commence à s'estomper. Les rues appartiennent, aux SDF, aux couche-tard et à ceux qui ont du vague à l'âme.