Pourtant, ce n'était pas encore l ́heure du couvre-feu qui avait d ́ailleurs été allégé par l ́administration coloniale alors que progressaient, à Evian, les négociations pour l ́indépendance engagées depuis plusieurs mois entre la délégation du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), conduite par le défunt Krim Belkacem, et le gouvernement français. Toute la journée, il n'avait été question que du cessez-le-feu qui entrerait en vigueur « ce soir à minuit ». C'est le moment le plus attendu depuis que la guerre de libération nationale a commencé plus de sept ans déjà. Le président du GPRA, le défunt Benyoucef Benkhedda, et le président français, le général de Gaulle, doivent, chacun de son côté, s ́adresser à leurs peuples au même moment, à 20 heures. « Cessez-le-feu ! ». Le mot magique est lâché. On n'y croyait presque plus tant le système tergiversait depuis des mois afin d'arracher le maximum, d'avoir le GPRA à l'usure et le faire renoncer à l'un des trois points de rupture considérés comme non négociables par le FLN : le principe de l'indépendance, l'unité du territoire national et la souveraineté sur les richesses nationales. La France proposait d'accorder l'indépendance au nord du pays et de garder le Sahara avec ses richesses pétrolières. « C'est hors de question ! », a répondu Krim au chef de la délégation française, Louis Joxe. « Là où est planté le drapeau français, nous planterons le drapeau algérien, voilà les limites du territoire national ! », rétorquera la délégation du FLN. Un document sur les frontières de l'Algérie, photocopié à la hâte la veille à la bibliothèque de Genève par le défunt Mouloud Kassim, représentant du FLN dans les pays du nord de l'Europe, est mis sous le nez de la délégation française : « C'est un historien français qui l ́a écrit ! ». Louis Joxe lance un sévère regard à son conseiller pour les questions d'histoire. La veille du 18 mars, la nouvelle avait circulé que la France commençait à céder sur les trois points qui sont non négociables pour le FLN. Elle va se confirmer avec l'apparition de Krim Belkacem, suivi des membres de la délégation du FLN, un léger sourire à l ́adresse des nombreux journalistes qui l'attendaient à la sortie de la salle des négociations. Les « Accords d ́Evian » ont été signés. Le président Benkhedda s'adressera le soir même à la nation algérienne, en arabe puis en français. « C ́est la victoire du peuple algérien ! ». Des explosions de joie fusent de tous les quartiers « musulmans », d ́où émergent ces « youyou » qui donnent la chaire de poule. Dans les quartiers européens, en revanche, le calme est absolu. Puis le refrain de l'« Algérie française », même si tout le monde s'est rendu à l'évidence que « l'Algérie de papa c ́est terminé ». Dans son désarroi, l'OAS poursuivra sa stratégie de la terre brûlée pendant encore les trois longs mois qui séparaient de la date de la proclamation de l'indépendance nationale fixée au 3 juillet. Il massacre tout sur son passage. La France est vaincue mais la guerre est loin d ́être terminée. La consigne du FLN de ne pas répondre à la provocation est strictement observée par les Algériens. Avec le 19 mars, la voie de l'indépendance est ouverte. Le 19 mars est devenu avec le 5 juillet et le 1er novembre l'un des grands repères du peuple algérien. Dans les années 80, le défunt Lakhdar Bentobal donnera une conférence à Alger sur le déroulement des négociations d'Evian. Avec la modestie qui est celle du grand moudjahid qu'il fut, il dira : « La délégation française comprenait ce que la France avait de meilleurs comme diplomates. Ils étaient plus forts que nous et l'ont démontré durant des négociations ardues, des plus tendues parfois, au point que Krim et Joxe faillirent en arriver aux mains ». La délégation algérienne sortit, néanmoins, vainqueur de ce « bras de fer » grâce à sa force de conviction dans la justesse de la cause qu'elle défendait. Certains compagnons de Bentobal se souviennent que les échanges entre les deux délégations se faisaient, parfois, avec une certaine dose d'humour. Ce fut le cas quand la délégation française insistait trop sur « le Sahara français ». Connu pour son sens de l'humour, Saâd Dahleb prit place, à l'ouverture d ́une séance, du côté de la délégation française, sous le regard interrogateur de tout le monde qui se demandait s'il ne s'agissait pas d'un égarement. Le ministre des Affaires étrangères du GPRA dira : « Je suis du sud (natif de Ksar Chellala), donc si je comprends bien, ma place est ici ».