« Lors du début de la crise en Grèce, en 2010, et par peur alors de la sortie de la Grèce de l'euro et du retour à la drachme, j'ai transféré mes économies à la Bank of Cyprus à Chypre », lâche une retraitée sexagénaire. « Maintenant, je suis bloquée, je ne peux pas les retirer de Grèce car les banques à Chypre sont fermées et on ne sait pas encore quand et selon quelles conditions on peut opérer des retraits ». Que faire ? La vieille retraitée qui dit regretter de ne pas avoir mis en sécurité son argent, en le transférant en France où vit sa fille, n'en est pas moins rassurée sur l'onde de choc chypriote. « Si les banques en France tombent également, c'est l'Allemagne qui va commencer à avoir peur », relève-t-elle. Le piège se ferme sur l'Europe de l'insolvabilité. C'est la grande déprime. « Un coup important a été porté à la confiance dans le système bancaire », estime un citoyen chypriote, peintre de son état, faisant le pied de grue devant le portail hermétiquement fermé de la Hellénique Bank. Le spectre de la banqueroute a longtemps plané sur l'Ile de Chypre qui a appris à resserrer de plusieurs crans la ceinture de l'austérité. A la réouverture des banques et pour éviter une fuite des capitaux à l'étranger, le strict minimum a été assuré : au terme du décret valide pour 7 jours, à compter de jeudi 28 mars, la banque chypriote a consenti les paiements et les virements à l'étranger limités à 5.000 euros par personne et par banque. Les voyageurs qui quittent Chypre sont astreints à la somme de 3.000 euros par personne. Ce sont là les premières mesures draconiennes pour éviter le pire : la mise en faillite du réseau bancaire. Après 12 jours de dures négociations avec Bruxelles, le plan de sauvetage de la troïka (Commission européenne, Banque centrale et FMI), débloquant une aide de 10 milliards d'euros fournie essentiellement par le MES (mécanisme européen de stabilité) et un apport du FMI qui reste à déterminer a été adopté. Le prix à payer pour les deux principales banques, la Bank of Cyprus (BC) et la Laïki Bank (LB), est fort élevé. Lors d'une allocution télévisée, le président chypriote, Nicos Anastasiades, fraîchement élu février, a évoqué les « décisions douloureuses » destinées à « remettre sur pied » le pays. Soit la reprise des dettes de la LB envers la Banque centrale européenne, de l'ordre de 9 milliards d'euros, et sa dislocation en « Bad » dont le sort est définitivement scellé, et « God » Bank réservé aux dépôts inférieurs à 100.000 euros bénéficiant de la garantie publique de l'UE et subissant, pour les titulaires des comptes de plus de 100.000 euros, une ponction de 30%. Le PAS à l'européenne est tombé sur l'Ile de Chypre appelée à connaître un redimensionnement de la taille bancaire, représentant 8 fois le PIB (produit intérieur brut) qu'il s'agit désormais de ramener à la norme européenne de 3,5%, les réformes structurelles, les privatisations et une hausse de l'impôt sur les sociétés qui passera de 10 à 12,5%. La crise chypriote un cas d'espèce ? Le patron de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a souligné, dans un communiqué, que « les programmes d'ajustement macro-économique sont faits sur mesure en fonction de la situation du pays concerné et aucun modèle ou patron n'est utilisé ». Mais il est évident que « l'exception chypriote » se fonde sur le paradis fiscal qui fait vivre toute l'économie. Le paradis fiscal vire au cauchemar. La désillusion est clairement exprimée par le ministre français de l'Economie et des Finances, Pierre Moscovici, proclamant la fin de « l'économie casino » qui ne fait plus rêver. Mais, par delà la règle d'or des « dépôts bancaires » déclarés inviolables et devenus problématiques (« l'impôt sur la fortune » ciblant les « non résidents » particulièrement représentés par les riches russes possédant le 1⁄4 des 70 milliards d'euros actuellement en dépôt dans les banques de Chypre), c'est l'avenir de l'Ile qui est en cause. Le système financier qui recrute près de 18.000 personnes (5% de la population active) contribue aussi pou30% du PNB (produit national brut). Le syndrome chypriote plane surtout sur l'Europe qui redoute l'effet de contagion. Des voix s'élèvent pour mettre en garde contre la dérive chypriote. « Il faut se poser la question sur d'autres en Europe », a souligné, la semaine dernière, Jacques Attali, le patron de PlaNet Finance, en pointant du doigt « le Luxembourg qui est un paradis fiscal » dont les dépôts représentent 500% de son PIB, soit largement plus que dans tous les autres Etats de la zone euro, Chypre y compris. « Le secteur financier est surdimensionné par rapport au reste de l'économie », reconnaît un haut responsable du Grand Duché. Une réalité traduite, selon le député allemand, Joachim Poss, vice-président du groupe parlementaire du SPD au Bundestag, par le « dumping fiscal ». Pour lui, la crise chypriote « devrait faire prendre conscience qu'on ne gonfle pas le secteur financier artificiellement ». L'enfer est aux portes des paradis fiscaux. Le « bon élève » de l'Europe, fort de son triple A, de la dette la plus basse de la zone euro (20%), et du déficit public largement sous la barre des 3% prescrite, refuse toute comparaison avec le cas chypriote, malgré les similitudes de leur modèle. Le Premier ministre Jean Claude Juncker, anciennement Président de l'Eurogroupe, plaide le « caractère fondamentalement international » du système financier, associant 141 banques de 26 pays, son apport en termes » d'investissement dans la zone euro et à la « compétitivité générale de tous les Etats membres » pour appuyer la thèse de la « soutenabilité budgétaire et économique » disposant d'un ratio en hausse depuis une vingtaine d'années et atteignant environ 18% en 2012. Le péril est donc conjuré. Définitivement : qui sait ? L'Europe, qui tire toutes les leçons de la crise chypriote, a mal dans son secteur bancaire en faillite. L'enfer chypriote, à l'heure de la « chute libre » d'une économie entrée en récession (20% pour les 2 prochaines années), renoue avec un quotidien d'austérité : la baisse des prix de l'électricité, très élevé dans l'Ile, décidée par le gouvernement, la gratuité du réseau de téléphonie de la compagnie semi publique Cyt, et la participation au concert de « solidarité et d'espoir », animée par une cinquantaine d'artistes chypriotes et grecs notamment exigeant un paiement en denrées alimentaires non périssables destinées aux plus démunis.