Lourdement armés, à bord d'une trentaine de 4x4 munis de canons anti-chars, les insurgés ont encerclé, à Tripoli, le bâtiment vidé de ses occupants empêchés d'accéder aux bureaux. Dans cette démonstration de force, la loi des milices continue de prévaloir dans un pays en mal de stabilité et en panne de réformes politiques de nature à permettre la construction d'un Etat national fort et crédible. La violence milicienne s'est imposée au CGN (Congrès général national) qui a récemment connu le même sort et, même, au président intérimaire, Mohamed al-Megaryef, victime de tirs. Par delà le débat houleux, portant sur la dékadhafisation, la spirale de la violence incessante met gravement en cause les chantiers de la reconstruction politique et économique. La nouvelle Libye, voulue « libre et unie », s'enlise dans une situation chaotique. Le syndrome de la somalisation plane sur un pays en proie à la montée des djihadistes et à la loi des milices que le CGN, pris en étau, reste impuissant à contenir. De Benghazi, abritant les partisans d'Ansar El-Charia, à Tripoli, soumise à la milice hégémonique d'El Nawasi à la proximité avérée avec les responsables du conseil supérieur de la capitale, la mainmise totale des tenants de la violence a pris largement le dessus sur les institutions, présentées comme représentatives. Si le grave précédent de l'attaque de l'ambassade américaine à Benghazi a révélé la piste salafiste devenue incontestable, la poudrière libyenne est l'expression de la dislocation du sentiment national, clairement exprimé par les affrontements tribaux, les règlements de comptes, les enlèvements et les assassinats de responsables. Mais, la marque djihadiste est de plus en plus perceptible dans la multiplication des attaques, de mieux en mieux préparées et dirigées contre les représentations diplomatiques (consulat américain, bureaux des Nations unies, Comité international de la Croix-Rouge). Que faire ? Bien loin des attentes des Libyens, participant en force (60% de participation au scrutin du 7 juillet pour l'élection de la constituante) à l'émergence d'une alternative réellement démocratique et réfractaire à la dérive milicienne et djihadiste, le CGN d'El Megaryef peine à garantir le respect de l'autorité légale et légitime dépourvue d'une armée forte et dissuasive ou, à tout le moins, assurant le désarmement des milices et leur intégration. La marge de manœuvre reste très étroite pour les responsables libyens engagés dans la difficile épreuve de la stabilisation et de la construction d'un Etat de la légitimité constitutionnelle qui transcende le pouvoir illégitime des « seigneurs de guerre » et des djihadistes largement servis par l'impasse chaotique.