L'épreuve de feu d'Ansar Charia, conduit par le vétéran afghan Abou Iyadh, de son vrai nom Saïf Allah Bin Hussein, signe le basculement dans la violence insurrectionnelle de cette organisation, sans existence légale et défiant l'autorité de l'Etat. Le Rubicon sera-t-il toutefois franchi ? Pour des raisons « sécuritaires », la direction d'Ansar Charia a dû renoncer au pèlerinage de ses partisans, en particulier ceux affluant en bus d'Ettadhaman et d'Al-Intilaka, deux quartiers populaires près de Tunis où des rassemblements sont en conséquence tenus. Mais, le retrait tactique de l'organisation ne signifie pas pour autant la manifestation tangible d'une volonté de compromis et du retour à l'apaisement. La « rupture du pacte », évoquée par son leader menaçant le gouvernement d'Ennahda d'une guerre totale, est consommée. Elle prend effet dans la bravade du congrès maintenu contre vents et marées. Sur les lieux, les militants, qui ont réussi à rejoindre Kairouan, campent dans un face-à-face redouté avec les forces de sécurité décidées coûte que coûte d'empêcher la tenue du 3e congrès, transféré à la dernière minute à Ettadhaman, déclaré illégal et qualifié de « menace pour la sécurité et l'ordre public ». Le ministre de l'Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, est catégorique. « Aucune négociation n'est en cours », a-t-il lancé, samedi, à l'antenne de la radio Mosaïque FM. Mais, le défi continue. « Le rassemblement aura lieu », a martelé un responsable d'Ansar Charia, Sami Essid, appelant cependant ses partisans « à la retenue » et « à ne pas céder à la provocation ». Le péril est en la demeure. La nouvelle Tunisie du rêve démocratique et du changement pacifique retient son souffle. Des affrontements entre des policiers et des militants de la mouvance salafiste ont eu lieu dans les quartiers populaires de la banlieue tunisoise cernés de barricades, à Kairouan et dans d'autres villes. Des interpellations ont été effectuées dans les rangs d'Ansar Charia dont le porte-parole, Seïf Eddine Raïs, arrêté à Kairouan. Longtemps accusé de duplicité, le parti majoritaire a durci sa position, motivée par la découverte du sanctuaire de Chaâmbi et du Kef aux mains de la phalange Okba Ibnou Nafaa « lié à al Qaïda », selon le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Mohamed Ali Aroui. De Bruxelles, où il assiste à une conférence sur la Palestine, Rached Ghannouchi a condamné la « violence d'où qu'elle vienne ». A l'épreuve de la défiance d'Ansar Charia, sur le pied de guerre, Ennahda joue sa crédidibilité et sa légitimité.