La délinquance juvénile en Algérie constitue une des formes de déviance les plus visibles. Problématique multifactorielle, elle impose un traitement multidimensionnel nécessitant la mobilisation de tous les acteurs de la vie sociale. C'est dans cette optique qu'un séminaire scientifique international sur la délinquance juvénile, le premier du genre, a été organisé, hier, sous le thème « la délinquance juvénile : pour une prise en charge multidimensionnelle », par l'Institut national de criminologie et de la criminalistique (INCC) de la Gendarmerie nationale en présence des cadres de la Gendarmerie nationale et de la DGSN, de magistrats, psychologues, psychiatres, chercheurs, d'enseignants universitaires et de représentants des ministères et des associations activant dans le domaine. Le chef d'état-major de la Gendarmerie nationale, le général Nouba Mennad, a appelé les participants à conjuguer les efforts à travers la coordination et l'échange de renseignements pour lutter efficacement contre ce phénomène. « La société algérienne a enregistré ces dernières années une explosion de la délinquance juvénile due aux mutations sociales profondes, aux conséquences du phénomène du terrorisme qui a détruit les valeurs, les mécanismes de contrôle et la défense sociale et au non-respect de l'autorité de l'Etat. Cette situation inquiétante menace l'équilibre de la société surtout qu'elle touche une frange de la population qui constitue le moteur du développement », a-t-il indiqué. Pour le général Nouba Mennad, la GN est consciente des conséquences de la délinquance juvénile, classée comme priorité dans le processus de modernisation et de développement de l'institution militaire. « L'objectif est de garantir la protection et la prévention pour éviter le développement de la personnalité associable et délinquante », a précisé l'officier supérieur. Des pistes pour des politiques préventives Pour sa part, le directeur de l'INCC, le colonel Abdelhamid Messaoudi, a expliqué que le choix de cette thématique est dicté par plusieurs raisons. Cette forme de délinquance concerne une frange sensible de la population dont la personnalité est en pleine construction : jeunes et adolescents, soit les générations futures. « Sa compréhension et sa prise en charge nécessitent l'intervention et la conjugaison des efforts de l'ensemble des composantes de la société », a-t-il estimé. L'objectif est également de mettre en évidence l'importance de l'interaction entre le processus judiciaire et la prise en charge psychologique des mineurs qu'ils soient auteurs, victimes, témoins ou en danger moral, et de proposer des pistes pour une politique préventive basée sur le travail en réseau multidisciplinaire. Le directeur de l'INCC a déploré le fait que « malgré les mesures prises par les pouvoirs publics, la vulgarisation des technologies de l'information et de la communication, l'absence de l'autorité dans son sens le plus large, à savoir parentale, scolaire, religieuse, les mineurs sont de plus en plus impliqués dans la délinquance, et parfois même dans des affaires criminelles ». Un statut juridique particulier pour les « jeunes adultes » Le directeur des études et de la recherche en criminologie auprès l'INCC, le lieutenant-colonel Demen Debbih Zahreddine, a plaidé pour un statut juridique particulier à l'égard des « jeunes adultes » âgés entre 18 et 28 ans. « Vu les données exploitées et les caractéristiques sociodémographiques de la population algérienne, il est constaté que notre société serait la plus concernée par la prévision de ce statut », a souligné l'officier supérieur dans une conférence intitulée « Délinquance juvénile : variable, âges des mis en cause ». Le criminologue a présenté une analyse menée sur une période de référence (2008-2012), à la lumière des statistiques criminelles : policières, judiciaires et pénitentiaires, qui fait ressortir que la proportion la plus importante des personnes arrêtées est située à la fin de l'adolescence et au début de l'âge adulte. L'analyse sur l'âge des mis en cause met en exergue la sur-représentation de la catégorie des jeunes délinquants âgés entre 16 et 25 ans, et plus précisément la catégorie des 18-21 ans. Cette frange de jeunes, en contact avec la loi, est dénommée ailleurs, sous un statut légal, « les jeunes adultes » ou « jeunes majeurs ». Les infractions les plus représentées statistiquement, en matière de criminalité commise par cette catégorie, se résument aux coups et blessures volontaires (CBV), vols et agressions sexuelles. Le conférencier a souligné que la recherche criminologique développementale a démontré qu'une large proportion de conduite criminelle commise entre 16 ans et 25 ans ne se poursuit pas au-delà de cet âge sous forme de carrière criminelle. Toutefois, il a été constaté qu'elle constitue la majeure partie de la population carcérale et serait vraisemblablement la catégorie la plus touchée par la récidive. Le criminologue a souligné qu'en Algérie, le problème des seuils d'âge « est traité uniquement sous l'angle juridique, mettant les juges, devant des catégories fixes, qui ne répondent pas forcément au degré de maturité morale et intellectuelle des jeunes adultes délinquants ». Pour le chercheur, tout en respectant la majorité pénale prescrite à 18 ans, les propositions générées de la réflexion purement criminologique devraient permettre au juge de mieux estimer la responsabilité de l'ensemble des jeunes délinquants primaires, même ceux qui dépassent de peu les 18 ans (18-21 ans) et qui se trouvent à l'orée de l'âge adulte, auteurs non récidivistes ayant commis des infractions non violentes, de prononcer à leur égard des mesures spécifiques et adéquates à leur degré de maturité. Plus de 3.000 mineurs impliqués annuellement La délinquance juvénile est sensible dans la mesure où elle touche une frange importante de la société, soit les mineurs qui représentent 48% de la population. 13 millions d'Algériens sont des mineurs, a signalé le lieutenant Kamel Bekkouche de la direction de la sécurité publique de la GN. Les statistiques de la GN, de 2008 à 2012, font ressortir une moyenne annuelle de 3.153 mineurs impliqués dans des affaires délictuelles, voire criminelles. Par ailleurs, des criminologues et universitaires étrangers de l'Université de Lausanne (Suisse), des Universités de Bruxelles et Gand (Belgique), Naif d'Arabie Saoudite, qui participent à ce séminaire, vont exposer l'expérience dans leurs pays respectifs.