La date de son assassinat demeurera longtemps comme une tâche noire dans l'histoire de l'Algérie. En ce jour, on ne venait pas seulement d'écourter la vie d'un homme, mais également d'attenter à de symboles forts. Une sorte de parricide venait de s'accomplir sous les yeux ahuris de millions de téléspectateurs. Comment ne pas frémir encore quand celui qui fut une des chevilles ouvrières de la Révolution de Novembre s'écroula sous les coups d'un enfant de l'indépendance. Mohamed Boudiaf ne fut pas seulement un nom lié à la maturation du mouvement national. Il demeure aussi celui qui, lorsque la patrie fut en danger, n'hésita pas à répondre à son appel. Le destin de Boudiaf a quelque chose d'exceptionnel. L'homme a fait partie des neufs historiques et passa près de six années dans les geôles françaises pour que son pays recouvre sa souveraineté et sa liberté. Des historiens s'accordent à reconnaître qu'il fut, en sa qualité de coordinateur entre les régions et la délégation extérieure du FLN, le véritable organisateur de Novembre. Il s'opposa ensuite à certains choix des gouvernants après l'indépendance et s'exila pendant des années. Il fondit ensuite un parti d'opposition comme pour répondre à la question de son livre, « Où va l'Algérie ? ». Les circonstances de sa dissolution traduisent l'éthique politique dont était porteur ce vieux militant. On raconte qu'il avait pris cette décision le jour où il vit des millions d'Algériens pleurer la disparition du président Boumediene. Un politicien qui avoue se tromper ne court pas les rues. Il n'était pas aveuglé par des enjeux de pouvoir au point de s'arc-bouter sur des chimères. Il ne s'empressa pas d'ailleurs de ressusciter, dans le sillage de l'ouverture démocratique qui a suivi Octobre 88, une quelconque organisation partisane. Il mettra fin à ce long exil dans des circonstances dramatiques. En janvier 1992, le pays affrontait une terrible crise. Comme dans les moments qui exigent des choix, Boudiaf, après des moments d'hésitation, ne se déroba pas au devoir. C'est alors que les nouvelles générations découvrirent un homme au parler simple et direct. Il put en un laps de temps très court faire partager aux Algériens un nouvel espoir. Le pays remontait la pente et commençait à entrevoir une lueur. Ce n'est pas un hasard s'il a en premier lieu évoqué deux chantiers importants qui étaient le nœud gordien de l'impasse . Pour Boudiaf, il fallait engager le combat contre « la maffia politico-financière » et sauver « une école sinistrée », pour reprendre ses propres mots. Si Tayeb El Watani n'eut ni le temps ni les moyens d'aller au bout de ses projets. Il n'en demeure pas moins qu'il restera dans l'histoire celui qui est toujours là quand le pays est en danger. En 1954, quand il fallut bouter dehors le colonialisme et à la fin de sa vie quand une menace pesa sur son unité et menaça de le faire retourner des années en arrière. Il tendit aussitôt sa main à tous les Algériens pour reconstruire un pays dont les fondements étaient menacés. Il n'était pas complexé sur la religion défendant cet islam qui était celui des siens depuis des siècles. Il comprit surtout vite que le pays devait rompre avec les vieilles querelles de l'histoire et qu'il fallait regarder de l'avant. Son dernier discours n'était-il pas consacré à la nécessaire maîtrise des sciences ? « Maintenant, tu peux te reposer, Monsieur Boudiaf ». Les derniers mots du sublime hommage que composa Lounès Matoub, quelques mois après son assassinat, sied si bien à cet homme qui mérite la reconnaissance éternelle du pays.