Dans cette confrontation tant redoutée, l'Egypte plonge dans une situation chaotique. Moins de trois heures après les premiers tirs de grenades lacrymogènes, le bilan est effarant : 2.200 morts et 10.000 blessés, surenchérissent les Frères musulmans, 149 décès, dont 5 membres des forces de sécurité, affirment les autorités. La guerre des chiffres n'en finit pas. L'effet de surprise a pleinement joué. L'assaut a été donné peu avant l'aube, faisant fi des « sommations préalables » promises pour permettre à ceux qui le voulaient de quitter les lieux « en toute sécurité ». Il n'y aura pas de « dispersion graduelle ». Les bulldozers de l'armée ont foncé sur les barricades de Nahda, totalement contrôlé deux heures après le lancement de l'opération coup-de-poing. En revanche, indiquent les agences de presse, dans le réduit de Rabaa El Adawiya, les combats continuent de faire rage entre les forces de sécurité et les islamistes lâchés par les riverains, prenant part aux opérations d'arrestation des dizaines de manifestants. Des images d'hommes menottés, assis à même le sol, et des familles escortées hors du site ont été diffusées par la télévision. Le bras de fer prend des proportions alarmantes. Tout en appelant les Egyptiens « à descendre dans la rue pour arrêter le massacre », les Frères musulmans ont commencé à bloquer les grands axes du Caire, érigés en arène à ciel ouvert. Des heurts sporadiques ont eu lieu dans plusieurs quartiers de la capitale. Fait aggravant : des églises coptes brûlées dans les provinces d'El Menia et Sohag (centre) en « représailles » au soutien du patriarche à la décision de destitution de Morsi. A l'effet de contenir la marée islamiste, le gouvernement a interrompu le trafic ferroviaire en direction et à partir du Caire. Le brasier alimente le péril grandissant d'une guerre civile et confessionnelle en gestation. Alors que les protagonistes se rejettent la responsabilité du drame, les autorités accusant notamment les Frères de stocker des armes et de se servir des femmes et des enfants comme « boucliers humains », la dérive sanglante inquiète. La volte-face de l'iman d'El Azhar, Ahmed El Tayyeb, prenant ses distances après avoir cautionné la destitution de Morsi, est l'illustration parfaite du malaise ambiant provoqué par le coup de force des autorités égyptiennes. Il a ainsi affirmé toute son ignorance des méthodes que les forces de l'ordre comptaient employer pour mettre fin à la désobéissance islamiste. Un vent de mécontentement a soufflé sur Le Caire qui s'enfonce, outre les retombées de la crise endémique, dans un splendide isolement. De Washington à Bruxelles, en passant par Paris, Londres et Berlin, le recours à la force a été condamné par la communauté internationale appelant à « plus de retenue ». Dans le monde arabo-musulman, la réprobation de la violence et de la « solution sécuritaire » est quasi unanime, dénoncées par le Qatar, la Turquie et l'Iran, qui évoquent un « massacre ». C'est dire que l'Egypte va mal, très mal. L'état d'urgence a été décrété aujourd'hui à partir de 16h pour une durée d'un mois.