Photo : Lylia M. L'idée de partager le «f'tour» avec les détenus du centre pénitentiaire d'El Harrach a fait naître en nous un sentiment de compassion envers ces hommes qui un jour ont commis l'irréparable. Etre seuls et loin de la chaleur familiale est la pire des punitions Nous les avons imaginés dans un espace clos, chaud et moisi où la tristesse est maître des lieux et les nerfs à fleur de peau. Il est 18 h. Sur les lieux, le sous-directeur du pénitencier, Kamel Benhamzaoui, nous attendait. «Vous arrivez à temps, nous dit-il, l'opération de distribution des repas vient de commencer». En effet, une trentaine de travailleurs, assistés des détenus connus pour leur «bonne conduite» tirent les chariots. La traditionnelle «chorba frik» figure au menu du f'tour constitué de «Tadjine zitoune», salade et raisins. «L'opération prend une heure. Il faut servir les 3 200 prisonniers dont 140 femmes». Ce menu semble convenir aux détenus bien qu'il soit loin de contenir les plats traditionnels raffinés. «Afin de leur permettre de plonger dans l'ambiance familiale du mois de jeûne, nous les avons fait sortir des cellules. Ils sont rassemblés dans les salles et peuvent rompre le jeûne ensemble», indique-t-on. Le muezzin annonce la rupture du jeûne sur les téléviseurs accrochés, haut, aux murs des salles d'incarcération. Les détenus accomplissent la prière présidée par des imamas et «plongent» dans la chorba, un peu refroidie. Dans une ambiance conviviale, Samir, Brahim, Amin, Rachid et autres déclarent que le ramadhan au niveau de l'établissement de rééducation «se déroule de façon presque normale», sauf que la chaleur familiale leur manque. «On n'a rien à envier aux autres, sauf la liberté», estime l'un d'entre eux. Cette ambiance, ils la retrouvent dans les couffins que leur apportent leurs familles automatiquement partagés avec les membres de la salle où sont installés 14 ou 20 détenus. A titre exceptionnel, durant le mois sacré, les «pensionnaires» des pénitenciers reçoivent «le couffin du Ramadhan» deux fois par semaine, au-lieu d'un autorisé durant l'année. Une seule condition leur est cependant imposée : les plats en sauce sont interdits, et pour cause, la direction redoute l'introduction de psychotropes et autres dedans. Juste après “le f'tour”, les détenus passent aux tâches ménagères. A tour de rôle, les uns nettoient les ustensiles, les autres se chargent du parterre sous le contrôle, bien évidemment d'un agent. COMMENT MOHAMED, ÉTUDIANT, À LA FAC CENTRALE, PASSE SES JOURNÉES DANS LA PRISON D'EL-HARRACH Mohamed, la trentaine entamée, est étudiant en 2e année en langue arabe. C'est un détenu qui bénéficie de la semi-liberté. C'est un lève-tôt. Il entame sa journée par la lecture de versets coraniques. A neuf heures, il sort dans la cour de l'établissement pour des exercices sportifs. Soit il fait des rotations en footing, soit il joue au foot, lorsque ses camarades décident d'organiser une rencontre. A la mi-journée, tous les détenus doivent observer la sieste, hormis ceux qui sont «réquisitionnés» pour différentes corvées. Une fois réveillé, Mohamed plonge, encore une fois, dans la lecture. La bibliothèque de l'établissement qui contient plus de 10 mille titres fait son bonheur. Ces jours-ci, il aime tout ce qui parle d'Islam et du Ramadhan. Les autres sortent dans la cour pour jouer au baby-foot, le billard. A 17 h, les détenus se rassemblent de nouveau dans les salles. Les programmes de la télévision locale, propre à l'établissement, commencent. Avant de quitter leurs salles d'incarcération, ils se réunissent en petits groupes et discutent. Les uns encouragent les autres à se dévoiler, à s'extérioriser, à se confier et soulager leur détresse. C'est une sorte de thérapie de groupe. Puis vient la prière des “Taraouih”. La semi-liberté a permis à Mohamed de «revenir de très loin». Le baccalauréat l'a empêché de sombrer dans le vide. C'est pour lui, une fenêtre ouverte à la découverte d'autres horizons, lui qui rêvait de devenir une personne “importante”. Interrogé sur la raison qui l'a conduit ici, sa réponse laisse à méditer : «Nul n'est à l'abri de la prison» Les conditions de détention s'améliorent d'une année à une autre. «FORSANE EL QUORÂANE» Tout comme la télévision, l'établissement pénitentiaire d'El Harrach organise un concours pour la récitation du saint Coran. Les participants doivent au moins connaître 5 «hizb». les critères du concours se basent sur la diction et la manière de présenter le texte divin. Le concours se déroulera à la veille du 27e jour du Ramadhan. Le jury sera composé d'un imam en exercice, d'un membre des scouts musulmans et d'un représentant du ministère des affaires religieuses et des Wakf. il y aura, selon M Benhamzi, la visite du directeur général de l'administration pénitentiaire et probablement celle du ministre de la Justice. Des cadeaux conséquents seront remis aux trois premiers lauréats. EL-HARRACH TV A l‘instar des autres établissements pénitentiaires, la prison d'El-Harrach diffuse certains programmes pour les détenus. Un génie en informatique, détenu, et un technicien, travailleur au sein de l'établissement, sélectionnent les programmes à diffuser sur les petits écrans, retransmis pour les salles et les cellules des hommes qui diffèrent quelque peu de ceux destinés aux femmes. «Pendant ce mois de Ramadhan, nous faisons la rediffusion des programmes qui ont un rapport avec la religion, la piété. Nous offrons la possibilité aux détenus de suivre les sketchs, les documentaires et bien d'autres choses».