Le public est venu en masse pour écouter les paroles d'Aït Menguellet, le sage, le musicien, l'« amusnaw » (le savant) et l'homme. Beaucoup se disent envoûtés par la simplicité et le caractère exceptionnel de l'artiste. Quand l'heure est venue, Lounis monte sur scène et esquisse une légère salutation en direction de ses fans. Ces derniers se sont levés et répondu par un torrent d'applaudissements. Avant d'entamer son récital, il a demandé au public d'observer une minute de silence à la mémoire de deux chanteuses qui nous ont quittés cette année, Cherifa et Noura. L'homme prend sa guitare et la serre affectueusement contre sa poitrine. C'est le geste inaugural d'une soirée de près de trois heures. Le chantre a évoqué d'abord le milieu où il a vécu et grandi. « Tamuti-iw, d izurar » (mon pays est une perle) a été la première chanson que beaucoup reprennent en cœur. Il a revisité ensuite son riche répertoire de chansons sentimentales imprégnées d'une émotion intense. De « Idaq wul » (cœur oppressé) à « Ur di ttagga » (ne me laisse pas) en passant par « Sevr ay uliw » (patience), Telt yyam (trois jours), « Latnadigh fellam » (je cherche après toi) ou encore « achal ihadragh fellam » (Ô combien je t'ai évoquée dans mes propos), tout un itinéraire d'amour, orné de sentiments multicolores a affleuré. Ce bouquet a été interprété en chœur avec un public où se mêlent des jeunes et des vieux, des femmes et des hommes. Les compositions s'étirent, laissant une grande liberté d'expression, accompagnées et soutenues par des ovations et des youyous incessants. Les chansons de son dernier album « Isefra » (Poèmes), sorti en mai dernier, ont été magistralement introduites dans le spectacle. Le public s'est « tenu tranquille » pour savourer la philosophie de Lounis. Elles ont fait le bonheur de ses fans. L'artiste a cette exception qui le distingue de tant d'autres : quand il se met à interpréter « Ammi » (mon fils) en duo avec Djaffar, son fils. Depuis les années 80 A la fin de chaque chanson, Lounis reçoit des encouragements du public. « Que Dieu te protège, Que Dieu t'accorde longue vie, bravo... » crie-t-on de tous les côtés de la salle pleine comme un œuf. Une septuagénaire a affirmé qu'elle n'a jamais raté un concert d'Aït Menguellet, organisé dans la capitale, depuis les années 1980. Elle se réfère à des vers du poète au cours de la discussion . « Toutes ses chansons ont un poids chez ceux qui ont appris à les écouter. Oui, il faut un apprentissage, une certaine initiation pour l'écouter. Cela signifie-t-il qu'elles sont inaccessibles ? Aucunement, il suffit de vouloir », commente un autre fan venu de Tiaret pour voir Lounis. « Le poète nous appelle toujours à réinventer le sens de la fraternité, l'amour, la liberté, la responsabilité, la justice, en un mot les valeurs humaines », nous dira un fan venu de Béjaïa. Infatigable du haut de ses 64 ans, il organise encore tournée sur tournée, en Algérie ou de l'autre côté de la mer. Il revient le 24 juin à Alger à l'invitation de l'Onci. Cette multiplication de tournées est un bon signe. Quand des artistes de la trempe de Lounis Aït Menguellet continuent de produire et de travailler assidûment, la chanson d'expression kabyle aura de beaux jours devant elle.