L'Algérien est connu, dit-on, pour son impulsivité et son irritabilité au moindre ennui. Mais agresser un personnel médical dans un établissement hospitalier, cela dépasse tout entendement. Comment en est-on arrivé là ? Il est 10h. Service des urgences chirurgicales de l'EHS Salim-Zemirli d'El Harrach. Un grand nombre de patients est là à attendre leur tour. Certains d'entre eux sont allongés sur des brancards et d'autres circulent dans les couloirs. Le personnel soignant, entre spécialistes, médecins généralistes et paramédicaux, est débordé. Une véritable cohue dans un espace exigu pour prendre en charge tout le monde. Chacun s'estime prioritaire et pense que son cas est plus grave que d'autres. Il s'ensuit souvent un dialogue de sourds qui parfois peut virer à une empoignade. Les éléments de la Protection civile sont nombreux dans cet hôpital. Les ambulances dans un incessant ballet n'arrêtent pas d'évacuer les blessés sur les routes et autres victimes d'accidents domestiques. Aïssa Oubahi, chef de service des urgences, en a plein le cœur. Il vient de rentrer de son congé. L'homme cache difficilement son amertume. Il nous confie que « chaque jour que Dieu fait, il fait face aux insultes, dérapages de langage ainsi qu'aux agressions verbales et même physiques ». Ces dernières ne sont certes pas quotidiennes mais elles sont de moins en moins rares dans cette enceinte hospitalière. Le médecin généraliste, Naïma Bendjida, en sait quelque chose. Son agresseur écope actuellement de 18 mois de prison pour coups et blessures volontaires. Suite à un malentendu entre le médecin accompagnateur du père de l'agresseur, victime d'un accident de la route, et elle, Naïma a été rouée de coups dans l'exercice de ses fonctions supposées sacrées et protégées. Les agents de sécurité de l'hôpital n'ont rien pu faire et la police n'a pas pu intervenir à temps. Le poste de garde est situé à l'entrée de l'hôpital, loin du lieu de l'incident. Naïma a déposé plainte et le juge près le tribunal d'El-Harrach a condamné l'agresseur à 18 mois de prison ferme. Le docteur Bendjida n'est pas la seule à avoir subi de telles brutalités. Le personnel soignant est souvent insulté. Tous les employés de l'établissement se plaignent d'abord du flux important de malades qui y déferlent quotidiennement. « Les lieux ne se désemplissent pas de jour comme de nuit », dit-on. Victime de sa réputation et de son emplacement stratégique, Zemirli voit défiler dans son pavillon des urgences, les citoyens de toutes communes environnantes. On y vient des populeuses cités de Baraki, Eucalyptus, Aïn Naâdja, El Harrach, La Montagne, Bachdjerah... « Tout le monde est dépassé » Selon le responsable des urgences à Zemirli, « chaque malade qui se présente veut passer le premier ». Selon lui, « certaines personnes font fi des autres gens qui sont arrivés plus tôt et qui attendent sagement leur tour ». Certains vont même jusqu'à ouvrir la porte du box où est ausculté un malade piétinant ainsi l'intimité du malade. Gare à l'agent de sécurité qui osera rappeler à l'ordre un quelconque malotru. Son uniforme ne le protège guère des insultes et autres grossièretés. Quelques-uns parmi eux ont même été bousculés dans bien de circonstances. Même les policiers ne peuvent mettre de l'ordre dans cet embrouillamini. « On est débordé », reconnaît le même responsable. A l'en croire, ce n'est pas la prise en charge des malades qui pose problème mais le nombre important des personnes souffrantes et qu'on oriente vers son service. « Les policliniques ne font pas leur travail correctement », déplore-t-il. Sinon comment expliquer qu'un malade vient se présenter aux urgences de Zemirli avec une petite entaille au doigt. La plupart expliquent que la salle des soins du quartier est fermée. Comment faire autrement quand l'alcool ou le fil chirurgical ne sont pas disponibles dans ces centres de soins. Donc le service des urgences est pris d'assaut et les malades sont exaspérés à force d'attendre. Pis encore, Aïssa Oubahi évoque « certaines personnes se présentant en bande organisée avec des armes blanches et menaçant le personnel ». Dans ce cas précis, même les agents de sécurité sont menacés et ne peuvent riposter face à ces « gangs ». « Le manque de civisme, de savoir-vivre et de considération pour la profession fait que nous sommes arrivés à cette situation », regrette un médecin urgentiste de l'hôpital de Kouba Bachir-Mentouri. Ce dernier, qui veut garder l'anonymat, a été également agressé verbalement et insulté. « Il avait, dit-il, juste intimé l'ordre à un malade qui a forcé mon bureau, de respecter son tour et de ne pas le gêner dans son travail. » Comment remédier à cette situation qui prend de l'ampleur ? Les avis sont partagés. Si à Zemirli on parle de la nécessité de renforcer l'effectif des agents de sécurité, à Kouba, par contre, on avance une autre solution. L'équipement des policliniques des quartiers peut faire baisser la tension sur les services d'urgences des grands hôpitaux. « C'est aussi de cette manière que l'hôpital pourra remplir sa mission de prise en charge des maladies lourdes », a indiqué un responsable. En attendant, l'urgence n'est pas seulement d'ordre médicale.