Ahmed Bedjaoui a été d'abord critique d'une émission mythique passée, depuis, à la postérité, puis responsable de la production à l'ENTV et toujours animateur passionné qui continue toujours à réfléchir sur les films. Certaines de ses critiques sont insérées dans son ouvrage. Le livre* qu'il vient de publier ne pouvait qu'être documenté, foisonnant de dates, de faits précis et parfois de révélations, notamment sur la perte de négatifs dont celui de « Tahia ya Didou » de Zinet qui, déposé dans un laboratoire à Rome, aurait disparu. Il évoque davantage les représentations de la guerre de libération dans les cinémas algérien et français, enjeu d'une bataille de mémoires toujours recommencée. Il s'attardera à ce propos sur le climat détestable qui avait entouré la sortie de la Bataille d'Alger et plus récemment de « Hors la loi » de Rachid Bouchareb. Formule juste Dans un perpétuel va-et-vient entre les imaginaires algérien et français, il évoque la manière dont fut appréhendé et traité ce conflit qui fut un traumatisme pour les deux peuples. Il nous offre aussi un voyage dans l'histoire en convoquant les figures tant artistiques (Vauthier, Charby, Clément, Hamina, Chanderli) et politiques (Abane, M'hamed Yazid...) qui furent à l'origine de la naissance du septième art en Algérie. Il ressuscite, par ailleurs, des figures oubliées comme celles du Yougoslave Labudovic et de l'Allemand Karl Gass. Le cinéma dans les maquis fut d'abord un outil pour montrer le vrai visage du colonialisme et sensibiliser les opinions occidentales. Evoquant de nombreux films, comme « la Bataille d'Alger », « les Enfants de Novembre », « la Grive », « Hassen Terro », il explique que les Algériens ont fait davantage de films de guerre que sur la guerre. Le cinéma a joué un grand rôle pendant et après la révolution. Il note néanmoins que « l'objectif affiché de beaucoup de films a été de glorifier, non d'analyser » (p. 100). Ils restent, à l'instar de « l'Opium et le Bâton, imprégnés par le modèle hollywoodien ». Il a cette formule juste pour qualifier ces films, dont il exclut toutefois « Hassen Terro » de Hamina ou « Patrouille à l'est » de Laskri, de « socialiste par son idéologie et hollywoodien par ses aspirations ». Il revisite aussi des œuvres de haute facture qu'il a aimées. Il s'agit de « Nouba des femmes du mont Chenoua » et de « Combien je vous aime », de Azzedine Meddour, relecture intelligente de l'histoire. Il regrette, par ailleurs, que la dimension humaine soit exclue de la plupart des productions. De grandes séquences comme les manifestations du 11 Décembre, les événements du 8 Mai 1945 ou le combat des femmes ne semblent pas avoir trouvé leur juste place. Il déplore à maintes reprises que le cinéma algérien soit davantage ancré dans la ruralité. Il tourne le dos aux élites urbaines qui ont joué un rôle important dans l'éveil de la conscience nationale et la conduite du combat libérateur. Le cinéma français qui traite de la guerre d'Algérie connaitra un cheminement différent. A la frilosité des créateurs, à la censure succéderont des années 1960 et 1970 une période ou le refoulé affleure et les fictions et les documentaires se multiplient. L'auteur passe au crible de la critique les œuvres de Benjamin Stora, de Philippe Faucon ou Patrick Rotman. Longtemps, la guerre d'Algérie a servi de toile de fond. Les représentations ont pour sujet les traumatismes des anciens militaires ou les mémoires identitaires des rapatriés. Depuis quelques années, elle se révèle sur le registre de la nostalgie des rapatriés, mais amorce des changements dont l'auteur analyse avec pertinence les soubassements. Le livre s'achève sur une réflexion autour des rapports complexes entre la fiction et l'histoire, jamais autant imbriquées que dans les films qui traitent de la guerre de libération. * Cinéma et guerre de libération Algérie, des batailles d'images 308 pages Editions Chihab, prix 1.000 DA L'auteur animera cet après-midi à partir de 14h une rencontre sur son livre à la librairie Chihab à Bab El Oued