Crise, e-books, piratage, plateformes Web... Aucune menace ne freine l'ardeur de libraires « fous » de Barcelone, capitale littéraire du monde hispanophone, qui se réinventent pour créer de véritables centres culturels. Montserrat Serrano, joyeuse propriétaire de la librairie Bernat, est l'une d'entre elles. Elle fêtera l'anniversaire de son agrandissement il y a six ans, en pleine crise, pour sauver un commerce au bord du gouffre. Montserrat Serrano a quitté son local de 40 mètres carrés pour s'installer dans l'établissement voisin et y ouvrir un café-librairie. « Nous devions changer. Ou nous nous réinventions, ou il aurait été impossible de tenir », explique la libraire. « J'ai décidé d'agrandir le local pour survivre. Je suis une folle, je ne connais pas de limites ! » Autour d'elle, des tables du café, presque toutes occupées, alternent avec des étagères débordantes de livres. Au fond, un grand espace est consacré aux conférences littéraires, à des cafés-débats sur le cinéma, concerts, tournois de jeux de société ou cours de langue. « On transforme la librairie en lieu de rencontre, il y a beaucoup de mouvement et on fidélise le client », explique-t-elle. Mais la situation reste difficile : « Nous avons du mal à boucler les comptes. Au moindre imprévu, tout vacille. » « Crise persistante et profonde » Entre 2008 et 2013, l'Espagne est passée de 7.074 à 5.864 librairies. A Barcelone, des lieux emblématiques ont fermé, comme la librairie Catalonia, qui avait survécu à un incendie pendant la guerre civile (1936-1939) mais pas à la hausse de son loyer. « La crise a été longue, persistante et profonde », se désole le président du syndicat de libraires. « Il y a eu une crise économique, mais pas une crise culturelle », ajoute le fondateur de la Calders, devenue un site de référence depuis son ouverture en avril 2014. « Des maisons d'édition très intéressantes et des auteurs très attirants sont apparus, on réédite et on traduit des livres de grande qualité », souligne-t il. « Nous, les nouveaux libraires, nous ne nous fondons pas exclusivement sur des critères commerciaux. Nous ne sommes pas des grands magasins, nous faisons très attention à notre sélection », témoigne le propriétaire de la librairie No Llegiu. Il est 20h30 et la librairie a fermé mais il reste encore pour organiser un club de lecture. Aujourd'hui, les participants analysent les deux premiers chapitres de « La montagne magique » de l'Allemand Thomas Mann. « Si je reste assis dans ma librairie en attendant que les gens viennent, je peux mourir. Je dois les faire venir, leur transmettre ma passion pour la lecture », explique-t-il.