L'état d'urgence en Algérie n'a été réellement mis à contribution que durant l'année 1992, sa prorogation n'ayant pas pu valoir sur le terrain, puisque la réalité sécuritaire dépassait de très loin le cadre de gestion qui pouvait être celui d'un état d'urgence. Le processus de retour à la paix ayant commencé à partir du début de la décennie écoulée, l'état d'urgence pouvait alors s'articuler et se justifier autour d'enjeux politiques de consolidation des acquis de paix et de cohésion sociale, dont le garant était une maîtrise de la situation sécuritaire qui enregistrait encore, de temps à autres, des épisodes de violence terroriste bien ciblés. Mais s'il est vrai que l'état d'urgence n'a pas été annulé depuis sa promulgation, il n'en est pas moins vrai que dans 95% des espaces de la vie publique, il n'était pas appliqué. Tout juste semblait-il valoir la fonction d'atout sécuritaire complémentaire mis à disposition de façon permanente afin de servir en cas de besoin. Mais il n'est pas possible de réduire la perspective de sortir le pays de l'état d'urgence après des années de «son application», au simple fait de la polémique que celle-ci a suscitée, ces toutes dernières années et surtout ces derniers mois au sein de la société civile et de certains partis de l'opposition. Il est clair que la promulgation de l'état d'urgence a été une décision nécessaire au moment où le pays basculait dans la violence et où il fallait aux forces de sécurité et à toutes les institutions de l'Etat, qui étaient impliquées dans le rétablissement de l'ordre, des dispositions exceptionnelles et une large marge de manœuvre pour atteindre l'efficacité requise en la circonstance. De même donc qu'il y avait des raisons objectives pour que soit promulgué l'état d'urgence, il semble aujourd'hui que l'Etat, par la voix même du premier magistrat du pays, a jugé que des raisons tout aussi objectives justifient son annulation. D'ailleurs, tout en liant, sans rapport de cause à effet, la polémique et la décision de sortie de l'état d'urgence, le Président Bouteflika a justifié cette dernière par la probable élaboration d'une stratégie sécuritaire alternative aux dispositions de l'état d'urgence qui garantit autant d'efficacité dans la lutte antiterroriste ; cela sachant que la situation sécuritaire actuelle se caractérise par un retour maîtrisé à la paix. On en est aujourd'hui à envisager la sortie de l'état d'urgence comme une réponse à une attente politique des partis et de la société civile, quand par ailleurs, elle est aussi et surtout un état de fait dicté par l'amélioration prolongée de la situation sécuritaire que les actions de lutte antiterroriste ont favorisée, qu'il s'agisse des lois successives sur la Concorde civile et de Réconciliation nationale ou de lutte sur le terrain des forces combinées. L'ETAT D'URGENCE FREINAIT-IL LA VIE CITOYENNE ? C'est certainement parce que les Algériens n'ont pas éprouvé les contraintes liées à l'état d'urgence tout au long de la décennie écoulée, qu'ils en arrivaient à oublier, dans leur vie quotidienne, qu'ils étaient sous état d'urgence. Pour la majorité écrasante des Algériens, l'état d'urgence –vocables qu'ils ont cessé d'employer depuis des années- consiste surtout dans ces barrages qu'ils rencontrent au quotidien, qui ralentissent la circulation sur les autoroutes et sur les principaux accès des grandes villes, dont la capitale. Il suffit peut-être de poser la question à ces jeunes, nés en 1992, date de promulgation de l'état d'urgence et qui ont dix-neuf ans aujourd'hui pour s'étonner de voir qu'ils n'ont pas conscience d'avoir vécu sous état d'urgence. MUSELAIT-IL LA LIBERTE D'EXPRESSION ET D'ASSOCIATION ? En Algérie, l'état d'urgence n'a pas directement affecté la liberté d'expression et c'est même au plus fort des années sombres du terrorisme qu'une liberté de ton certaine s'est installée, avec une gestion de l'information qui ne subissait nulle contrainte extérieure au journal ou au journaliste, y compris parfois celle portant sur les bilans sécuritaires, alors gérée, avec brio, dans le cadre de l'éthique et de la responsabilité professionnelles de la corporation. Néanmoins, les voix qui ont appelé à la levée de l'état d'urgence ne faisaient pas l'économie d'évoquer cette contrainte qui consiste dans l'impossibilité de créer un journal, une association ou toute autre organisation sans une autorisation délivrée par une institution de l'Etat, de même qu'il ne pouvait y avoir de réunions publiques sans l'aval des autorités. Aujourd'hui, ces voix estiment que l'état de droit ne peut s'accomplir en Algérie sans une sortie définitive de l'état d'urgence. La classe politique, dans son ensemble, a réagi très positivement à la décision prise en Conseil des ministres, de lever l'état d'urgence, évaluée comme «une avancée importante pour le pays», comme «la preuve que le modèle pluraliste adopté en Algérie fonctionne», comme «une réponse aux aspirations des Algériens à plus de bien-être…» ou encore comme une décision prise en «parfaite harmonie avec l'évolution de la société et la dynamique du peuple algérien qui aspire à davantage de progrès…» D'autres formations politiques se sont démarquées par des réactions qui pointaient, non pas le caractère positif de la décision elle-même, à savoir la levée de l'état d'urgence, mais plutôt les lectures auxquelles elles étaient politiquement et conjoncturellement sensibles et les intentions qu'elles lui prêtaient. Ainsi, on mettait en garde respectivement contre «une tentative de diversion» et on éveillait les soupçons sur la teneur de la future loi sécuritaire qui se substituera à l'état d'urgence dans le cadre de la lutte anti-terroriste. CONDITION DE L'ETAT D'URGENCE L'état d'urgence est proclamé officiellement en cas de péril qui menace l'existence de l'Etat et de la Nation et peut restreindre certaines libertés fondatrices de l'état de droit, notamment la liberté de circuler, de la presse et autres droits d'associations et de réunions publiques et autres manifestations. La proclamation de l'état d'urgence n'est en aucun cas un permis, accordé à l'autorité publique, de violer certains droits fondamentaux de l'humain tels que le droit à la vie, le droit au respect, le droit à la liberté, à l'expression, etc.