Il fait nuit noire dans la nouvelle cité de Kourifa, près d'El Harrach. Les habitants, issus en grande partie des bidonvilles de la capitale, ont du mal à y passer leur premier Ramadhan. Les routes défoncées, les travaux de viabilisation et de raccordement aux réseaux d'assainissement et d'AEP ne sont pas encore finis. C'est un chantier à ciel ouvert qui s'offre au visiteur. Là où le regard se porte, des immeubles sont en train de pousser. Le tout encerclé par des unités de Naftal, des hangars datant de l'époque coloniale et menaçant ruine, ainsi que des habitations anarchiques, le long du très puant oued El Harrach. L'éclairage public est faible et la poussière qui monte au ciel rend l'air irrespirable. D'ailleurs, toutes les fenêtres de la très grande cité restent fermées malgré la chaleur. La cité semble quasi fantomatique en cette soirée ramadhanesque. Hormis quelques badauds qui errent dans les rues poussiéreuses, et quelques camionnettes remplies de jeunes en partance pour El Harrach ou leurs anciens quartiers, la cité est quasi fantomatique. Pas une seule boutique d'ouverte, à part quelques tables dressées par des jeunes pour proposer du thé ou des grillades. Le seul coin animé de la cité reste le terrain de football transformé pour la circonstance, en aire de prière. Les tarawih attirent grande foule. Derniers arrivés à la cité, à la veille du Ramadhan, les habitants de l'ex-bidonville de la ferme Benboulaïd. Difficile, pour eux, de trouver leurs repères. Salim, vendeur ambulant de fruits et légumes, passe ses journées dans son ancien quartier de Hai El Badr. Il y reste jusqu'aux dernières minutes précédant le Maghreb et prend son café dans un gobelet pour aller rompre le jeûne à Kourifa. « Il n'y a pas de café là-bas, pas de vie. C'est juste bon pour dormir. Après le f'tour, je retourne ici, car même à El Harrach-Centre, il n'y a pas grand-chose à faire. Dans mon ancien quartier, au moins, je connais du monde et je me sens chez moi. » Ceux qui ont élu domicile à Kourifa depuis quelques mois n'arrivent pas, non plus, à trouver leurs repères. Boualem, un ancien habitant de la Glacière, maçon de son état, a du mal à s'y habituer. « Au début, nous avions sauté de joie, surtout que Kourifa, c'est pratiquement à El Harrach, mais nous avons vite déchanté : pas d'école, les enfants sont obligés de prendre les bus scolaires tous les matins. Et à la tombée de la nuit, pas la peine de se risquer en dehors de la cité. Ici, il faudrait être véhiculé, sinon, c'est vraiment dur. Regardez autour de vous, il n'y a aucune boutique, c'est le désert. » Les habitants s'organisent donc pour partir en groupes la nuit tombée, soit vers leurs anciens quartiers, soit vers la station du métro pour aller flâner en ville jusqu'à l'aube. « Pas question de rester ici la nuit. L'ennui me tuerait », nous lance Hakim, originaire d'Hussein Dey. Les plus optimistes disent que la cité, une fois tous les chantiers terminés et les boutiques ouvertes, pourrait devenir « vivable ». Ils tablent sur cinq, voire dix ans. En attendant, ils prennent leur mal en patience et s'accrochent à leurs anciens repères.