Tout porte à croire que l'heure du leader libyen a bel et bien sonné. Le pays est au bord de la guerre civile. C'est Seïf El Islam, le fils du colonel Mouammar Kadhafi, qui ne porte, curieusement, aucune casquette officielle hormis celui de président de la Fondation qui porte son nom qui le déclare. Dans un discours musclé à la télévision publique, il a promis un bain de sang en cas de la poursuite des mouvements de protestation qui ont gagné la capitale Tripoli. « Nous combattrons jusqu'à la dernière balle», a-t-il mis en garde sur un ton on ne peut plus menaçant. «La Libye est à un carrefour. Soit nous nous entendons aujourd'hui sur des réformes, soit nous ne pleurerons pas 84 morts mais des milliers et il y aura des rivières de sang dans toute la Libye», a-t-il averti en promettant de «détruire les éléments de la sédition». «L'armée aura maintenant un rôle essentiel pour imposer la sécurité parce que c'est l'unité et la stabilité de la Libye», a-t-il encore expliqué sans néanmoins dire un seul mot au sujet du ralliement, de plus en plus important des militaires et des policiers aux manifestants. L'«héritier du trône» a, sur sa lancée, accusé des «éléments libyens et étrangers» de pousser aux affrontements afin de «détruire l'unité du pays et instaurer une république islamiste». «En cas de chute du régime, dit il, à l'endroit des Américains et des Européens, la Libye sera une proie aux islamistes extrémistes pour en faire un royaume islamique». Sans donner un bilan officiel des victimes des émeutes, 300 à 400 morts selon la Fédération internationale des ligues de droits de l'Homme, 233 morts selon HRW dont 60 pour la seule journée de dimanche, Seif El Islam Khadafi, a jugé «exagérés» les chiffres relayés par les médias étrangers. Sur le terrain, la situation s'enlise. Plusieurs villes, dont Benghazi et Syrte, sont tombées aux mains des manifestants après des défections dans l'armée. Après ce discours, quelque 500 manifestants en colère ont envahi et pillé un chantier de construction sud-coréen près de Tripoli. Le siège d'une télévision et d'une radio publiques (Al-Jamahiriya 2 et la radio Al-Shababia), lancées en 2008 par Seif El Islam, ont été saccagés par des manifestants dans la capitale où des bâtiments publics, des postes de polices et des locaux des comités révolutionnaires ont été incendiés, y compris près de la place Verte au centre ville où des affrontements violents ont eu lieu dans la soirée entre des pros et anti-régime. Lâché par une grande partie de sa population, le leader libyen assiste, impuissant, depuis hier au ralliement massif des tribus au mouvement de protestation. Deux importantes tribus, Touareg au Sud et Warfala, ont rejoint la contestation, ainsi qu'une autre au sud du pays qui a menacé de couper la voie vers les champs pétroliers si le régime ne mette pas fin à la répression sanglante.Le ralliement aux protestataires n'a pas touché seulement les forces de sécurité et les tribus. Des ministres, comme celui de la Justice, Moustapha Abdel Jalil, des ambassadeurs, dont celui en Inde et le représentant à la Ligue arabe, ont annoncé leur démission et leur soutien à la rue. Très discrète depuis le début de l'insurrection, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton s'est entretenue, dimanche dernier par téléphone, avec son homologue italien, Franco Frattini, de la situation en Egypte, en Tunisie et en Libye. «Mme Clinton et le ministre italien des Affaires étrangères ont parlé ce matin de l'actuelle situation en Egypte, en Tunisie et en Libye», a indiqué son porte-parole, Philip Crowley qui a par ailleurs exprimé, dans un communiqué, la «sérieuse préoccupation» de son pays des informations faisant état de plusieurs morts et blessés parmi les manifestants pacifiques en Libye. L'Union européenne a appelé, de son côté, Kadhafi à répondre aux aspirations «légitimes» de son peuple et à cesser de réprimer dans le sang les manifestations, en dépit des menaces de Tripoli envers l'Europe d'ouvrir les vannes de l'immigration clandestine. Le chef de la Ligue arabe, Amr Moussa, a exprimé l'«extrême inquiétude» après la répression sanglante appelant à «cesser toutes les formes de violence». Plusieurs pays occidentaux se préparaient à évacuer leurs ressortissants. Des entreprises, comme le géant pétrolier BP, le groupe italien d'aéronautique et de défense Finmeccanica et la compagnie pétrolière norvégienne Statoil ont, elles, commencé à rapatrier leurs salariés.