La lame de fond qui a emporté le Tunisien Zine El-Abidine Ben Ali et l'Egyptien Hosni Moubarak menace le Libyen Mouammar Kadhafi. L'auteur du Livre Vert, au pouvoir depuis quarante-deux ans, opte pour une répression sauvage et à huis clos des manifestants qui réclament son départ. Dans un discours retransmis à la télévision, il appelle «l'armée et la police à reprendre la situation en main, menace les manifestants qu'il présente comme de «jeunes drogués» veulent transformer la Libye en «un Etat islamique, un nouvel Afghanistan» d'une riposte similaire à Tiananmen et Falloujah et affirme qu'il se «battra jusqu'à la dernière goutte de (son) sang». «Mouammar Kadhafi n'a pas de poste officiel pour qu'il en démissionne. Mouammar Kadhafi est le chef de la révolution, synonyme de sacrifices jusqu'à la fin des jours. C'est mon pays, celui de mes parents et des ancêtres», dit-il, pour rejeter les appels à son départ du pouvoir. La Fédération internationale des droits de l'homme estime le nombre de morts à au moins 400. Le Conseil de sécurité de l'ONU a consacré hier une session spéciale à la Libye où « les bombardements et les attaques contre la population civile » de ces derniers jours « pourraient être assimilées à des crimes contre l'humanité », selon Navi Pillay, le Haut commissaire des Nations unies des droits de l'homme qui exige l'ouverture d'une «enquête internationale indépendante». «La brutalité avec laquelle les autorités libyennes et leurs mercenaires tirent à balles réelles sur des manifestants pacifiques est inadmissible », dit-elle estimant que « la communauté internationale doit être unie dans la condamnation de tels actes et doit prendre des engagements sans équivoque pour s'assurer que justice sera faite pour les milliers de victimes de la répression ». Lundi, Ibrahim Dabbashi, l'ambassadeur libyen adjoint à l'ONU, qui a fait défection, a déjà utilisé le terme de «génocide» pour qualifier les violences. Seïf el-Islam, le fils du seul dirigeant arabe à reprocher publiquement aux Tunisiens le 14 janvier dernier le « renvoi » de leur président a brandi, dimanche soir, la menace de « rivières de sang dans toute la Libye ». « Soit nous nous entendons sur des réformes, soit nous pleurerons des milliers de morts », dit-il poussant ainsi malgré la sortie « médiatique » de 22 secondes de son père, des dizaines de militaires, de diplomates et de hauts responsables à basculer dans la protesta pour « l'usage excessif de la force » contre les manifestants qui ne décollèrent pas et refus de « servir une dictature ». Même le colonel Abdel Moneïm Al Houni, représentant de la Libye auprès de la Ligue arabe au Caire, et le général Abou Bakr Jaber Younès, l'inamovible commandant en chef de l'armée, les deux derniers membres du groupe des « officiers libres» libyen, artisan du renversement de la monarchie en 1969, l'ont abandonné.Ban Ki-moon qui a convoqué la réunion du Conseil de sécurité réclamée par Ibrahim Dabbashi qui attend deux résolutions, l'une pour imposer une « interdiction de survol du territoire libyen » et l'autre pour « couper tous les approvisionnements à Tripoli » et…un moyen pour protéger le peuple libyen, se déclare « indigné » par les informations selon lesquelles les forces de l'ordre libyennes auraient tiré sur des manifestants à partir d'avions militaires et d'hélicoptères. Comme tous les dirigeants du monde, il exige « la fin des violences contre les manifestants » et le « respect des droits de l'homme et des manifestants». Peter Wittig, l'ambassadeur d'Allemagne, appelle à une action « rapide et claire ». Un peu partout, une question commence à se poser : qui gérera l'éventuelle transition si Kadhafi, dont la « fin n'est qu'une question de jours » dans l'atypique Libye qui n'a ni société civile ni partis politiques ?