Des hommes, des femmes de tout âge se côtoient dans une atmosphère où se mêlent allégresse et recueillement. Les uns ont l'allure baba-cool et d'autres, surtout les jeunes filles, ont sorti leurs belles tenues traditionnelles. On distingue à l'avant la haute silhouette du peintre Denis Martinez, l'un des fondateurs de Raconte-Arts. Ses signes ont décoré maintes tajmaït, depuis le début de l'aventure il y a près de dix ans à Ath Yenni. Quand elle débouche sur une place centrale, les battements des joueurs, des adeptes de gnawi venus de Blida et auxquels se joint une troupe de Ghardaïa, redoublent d'intensité. Quelques personnes dressent vers le ciel des torches enflammées. Certains dansent et dans le ciel, un petit drone filme la scène qui se déroule dans ce petit village que le festival semble avoir transfiguré. Yazid Arab, le réalisateur du documentaire de 52 minutes, nous confie que « c'est une sorte de reportage qui renfermera beaucoup de témoignages sur le passé et le présent de ce village ». Les petits rois de la nuit Ainsi est Raconte-Arts. Là où il passe, il sème joie et souvenirs. L'an dernier, c'était à Iguersafene à la lisière de l'Akfadou et Dieu sait, où l'an prochain, cette bande joyeuse déposera ses mallettes emplies de bonnes choses pour grands et petits. Sadji Meziane, le président du comité de village, et directeur de collège de son état, ne reconnaît presque plus ces ruelles où d'habitude règne le silence. « Raconte-Arts a tout changé surtout pour les enfants. On leur propose une dizaine d'ateliers de dessin, de photo, d'écriture ou de conte ». Comme ces femmes, jeunes et vieilles, qui papotent au seuil des portes, elles sont libres de sortir, maîtres du royaume de la nuit. « Les miens rentrent très tard. Suprême chance, nous recevons à la maison quelques étrangers chargés de ce volet », nous dit-il. Il nous montre aussi une revue éditée pour l'occasion. On y découvre des textes en français, en arabe et en tamazight. Ils révèlent les richesses insoupçonnées de ce village de 5.000 habitants, ses fontaines, ses jeunes sportifs et ses figures comme ces accoucheuses, une race en voie de disparation. Souama est situé près d'Ath Zellal où Hocine Aït Ahmed fut arrêté en octobre 1964 et dont le mausolée Cheïkh Amokrane a inspiré à Cheïkh El Hasnaoui une de ses plus belles chansons. Il est aussi en contrebas d'Igoufaf où est né le boxeur Loucif Hamani. Souama, chef-lieu d'une commune de la daïra de Mekla située à 35 km de Tizi Ouzou, est connu aussi pour ses deux stèles portant des inscriptions libyques qui sont exposées au Musée des antiquités d'Alger. La première fut découverte en 1882 par Emile Masqueray et la seconde vingt-huit ans plus tard par Si Saïd Boulifa l'auteur d'une histoire de la région de Kabylie et le premier à avoir traduit à la fin du XIXe siècle des poèmes de Si Muh u Mhand. Ce n'est donc pas un hasard si un portrait de l'homme à la chéchia orne un mur. Ce retour vers l'histoire semble fasciner aussi des femmes. Elles suivent un film sur le royaume de Koukou. Raconte-Arts est immergé dans le présent. Des jeunes, près de 300, sont venus d'un peu partout. De Batna, de Timiminoun, de Saïda, de Sidi Bel-Abbés, d'Alger comme Belaïd Tagrawla, Khaled Benaïssa ravis par ces habitants généreux qui ouvrent leurs foyers en toute simplicité. Le premier entouré d'enfants chante la célèbre « Yemma » à la djemaâ. Un jeune de Tlemcen dans l'assistance se dit « très fasciné par la qualité de l'accueil ». Le matin, on ne prend pas son petit déjeuner dans un café mais chez les habitants qui préparent du café, du lait et des gâteaux qu'ils viennent déposer sur les places. Tewfik, le Tlemcénien, était venu avec un ami habitué du festival et se dit en s'esclaffant atteint de « racontarite ». Ils déambulaient tranquillement dans les ruelles de Souama qu'arpentent des visiteurs étrangers sans crainte. Un homme est aussi venu le matin de la capitale, juste après avoir lu un article sur l'événement dans un quotidien. Devant une salle de jeux, transformée en espace d'exposition pour dénoncer les ségrégations dont sont victimes les femmes, un groupe de jeunes entonne dans la bonne humeur des chants religieux. Plus loin sous une tente on déguste du thé. Partout des affichettes annoncent des récitals de poésie dans toutes les langues, des conférences. Des auteurs ont présenté leurs livres, déclamé leurs poèmes. Des amitiés, des amours peut-être, y sont nées aussi. C'est le charme et le miracle de Raconte-Arts. Aujourd'hui, s'achève cette semaine que bien des visiteurs voudraient bien voir se prolonger.