A l'approche de l'Aïd, plusieurs citoyens se transforment en maquignons, un business aux bénéfices garantis. Les commerçants ne recourent plus à la location des garages, mais deviennent eux-mêmes des maquignons. Plusieurs d'entre eux ont transformé leurs propres magasins en espaces de vente, a-t-on constaté lors d'une virée jeudi dernier dans des quartiers de la capitale. C'est la dernière semaine qui précède l'Aïd El Kebir. Alger s'est transformée en bergerie malgré les mises en garde du ministère du Commerce. Les odeurs sont là pour renseigner sur l'existence des étables qui bafouent toutes les normes d'hygiène et de bon voisinage. Un triste décor dans les grands quartiers même ceux considérés comme résidentiels qui s'ajoute à la saleté habituelle, dans les grandes ruelles. Devenir maquignon Des trottoirs dans la commune de Mohamed Belouizdad (ex-Belcourt) sont envahis par les vendeurs de bottes de foin, des jeunes, des adolescents et même des vieux. « Je cherche désespérément une table de vente des fournitures scolaires. D'habitude, au Marché 12, on vend les affaires scolaires à l'occasion de la rentrée. Le marché informel est de retour mais comme il y a l'Aïd, les vendeurs ont changé d'activité », a constaté une mère d'un enfant scolarisé. C'est ce qu'a confirmé un jeune vendeur à la rue Mohamed-Bouguerfa, qui exposait des bottes de foin sur le trottoir. « C'est une occasion pour gagner de l'argent. Je suis chômeur mais je me débrouille et j'adapte mon activité selon les occasions et Dieu merci, j'assure une entrée d'argent pour ma famille dans ces circonstances », a-t-il dit. Des commerçants « légaux », eux aussi, ont changé leur activité à cette occasion. A la rue Fayçal-M'barek, à Belouizdad, un atelier de menuiserie situé entre deux immeubles s'est transformé en point de vente de moutons. Les odeurs se dégageant de cet enclos ont converti les lieux en bergerie, ce qui a agacé les habitants. « Nous ne pouvons plus ouvrir les fenêtres à cause de l'odeur insupportable. Nous n'étendons plus le linge au balcon. Nous sommes condamnées chez nous », ont fulminé des ménagères. Des enfants sortant d'une école située juste à côté suppliaient leurs parents pour voir « la petite ferme » dans le quartier. « Je veux voir le mouton avec les cornes », a insisté une petite fille presque en pleurant. Le propriétaire a expliqué qu'il a fait « cette expérience » l'année dernière. « J'ai réalisé un bon bénéfice en revendant des moutons en provenance de M'sila. Cette année, je ne suis pas très optimiste car les prix sont plus bas, mais l'essentiel est que cela me permet une rentrée d'argent supplémentaire, car la menuiserie ne rapporte pas grand-chose ces jours-ci », a-t-il déclaré. Pas loin de ce lieu, un vendeur de viande blanche au boulevard Nacera-Nounou a exposé à l'entrée des bottes de foins. « On boude le poulet ces derniers jours et je suis sommé de fermer toute la semaine de l'Aïd. Alors, je dois combler la baisse de la recette par la vente de foin », a tenu à préciser le vendeur à l'intérieur du magasin. Même décor planté à quelques mètres du siège de la 7e sûreté urbaine, un terrain a été clôturé comme une étable. Le jeune revendeur qui surveillait plus de 20 têtes de moutons a affirmé qu'il ne peut pas louer un garage. « C'est très cher. On m'a proposé 15.000 DA pour dix jours, pour un coin dans un garage. Ici, je ne dérange personne », a-t-il assuré. Selon un élu à l'APC de Belouizdad, la lutte contre ce phénomène relève des prérogatives des services de sécurité qui devraient interpeller tous les vendeurs informels lors des patrouilles de contrôle ». Des mannequins au milieu des moutons A El Biar, un petit terrain clôturé à quelques mètres du ministère des Moudjahidine, « interdit aux étrangers » comme l'indique un panneau à l'entrée, est devenu depuis plusieurs jours un point de vente de moutons selon une plaque en carton qui informe les passants de ce marché improvisé. Même situation aux quartiers de Soustara et Bab Jdid, où plusieurs commerces ont été transformés en étables, à l'exemple d'un salon de coiffure hommes. Son propriétaire a opté pour ce changement d'activité, chaque Aïd. « Cela fait cinq années que je pratique cette activité. Je revends une cinquantaine de moutons de provenance de Djelfa. J'ai des clients attitrés », a-t-il dit. Même avis d'un vendeur de lait de vache dans un petit local. « En réalité, j'assure aussi « la garderie » des moutons jusqu'à la veille de l'Aïd, ce qui arrange beaucoup de familles résidentes dans des appartements », a-t-il fait savoir. Pour un autre, « nous ne gagnons pas grand-chose dans l'affaire, parfois pas plus que la modique somme de 1.000 ou 1.500 DA. Dans le meilleur des cas, on s'en sort avec 10.000 DA de gain surtout cette année avec la baisse des prix des moutons ». Dans ce quartier, un magasin de prêt-à-porter pour femmes et enfants s'est transformé en bergerie. « Des mannequins au milieu des moutons, un décor qui fait vraiment rire et il faut le faire », a rapporté une femme qui habite à proximité. A Baraki, une boucherie à la cité Boukeraâ ne propose plus le mouton en gigot, mais le vend sur pied. « C'est mon métier, qu'il soit vivant ou égorgé, c'est un mouton ! », a lancé le gérant souriant. Même les cages d'escaliers n'y sont pas été épargnées. Hassina, gérante d'un salon de coiffure dans un immeuble à quelques mètres du ministère du Travail, s'est emportée. « Des clientes ont boudé mon salon à cause de la cage qui s'est transformée en bergerie. » Les aires de jeux dans les nouvelles cités, à l'instar de Birtouta, Khraïcia et Bentalha, ont été également « envahies » par les bêtes de sacrifice. Le constat à Ferhat-Boussaâd (ex-Meissonnier), à Alger-Centre, est cependant différent. Aucune étable informelle n'existait. Des habitants se sont félicités de la disparition de ce phénomène, cette année. Les citoyens divisés Si l'existence de ces points de ventes a déplu à certains citoyens, d'autres ont exprimé leur satisfaction de leur présence à proximité de leurs habitations. « Je ne comprends pas comment on laisse ce genre d'activités enlaidir les lieux », s'est indigné un habitant du quartier du 1er-Mai. Il faut que les autorités sévissent. Il est inadmissible que des commerces se transforment en étables chaque année, a-t-il regretté ajoutant que des commerces sont transformés en librairies à l'occasion de la rentrée scolaire, vente de zlabia et cherbet au mois de Ramadhan, profitant du laxisme des autorités chargées du contrôle. En revanche, des riverains ont affirmé qu'ils préfèrent acheter chez quelqu'un du quartier. « On peut lui faire confiance et le plus important, il garde le mouton chez lui jusqu'à la veille de l'Aïd. Le mouton est sous nos yeux », se réjouissent-ils.