Paru à l'occasion chez Anep éditions, « Yamina Oudaï, l'héroïne oubliée » est un livre d'histoire narrant le parcours exceptionnel d'une chahida. La martyre, jusqu'à son dernier souffle, a préservé farouchement l'honneur de l'Algérie. M'hamed Houaoura, l'auteur du livre, nous livre dans cet entretien quelques fragments du destin de cette moudjahida qui a occupé le poste de responsable de l'organisation militaro-politique de Cherchell. Vous venez de signer votre premier livre en publiant une biographie d'une chahida. D'entre toutes les moudjahidate, pourquoi votre choix s'est porté sur elle ? Je tiens à préciser que raconter avec force détails tout le parcours de Yamina Oudaï est un travail de recherche qu'un seul livre ne peut pas contenir. A travers le mien, j'essaye de restituer autant que faire se peut des facettes de la vie d'une dame admirable qui appartient à la race des seigneurs. Cette femme fut froidement exécutée par l'armée coloniale le 25 octobre 1957. Elle reste un symbole. Comme vous est venue l'idée d'écrire ce livre ? Oudaï Yamina, connue sous le pseudonyme de Ella Zoulikha, habitait à Aïn El Kçiba, le cœur populaire palpitant de Cherchell. Etant moi-même de Cherchell et ayant écouté dès mon jeune âge avec fascination les récits relatant son parcours héroïque, j'étais épris par son engagement. Le livre de Assia Djebar « La femme sans sépulture » paru en 2002, a suscité en moi l'envie d'entreprendre une quête pour percer le secret de cette fascinante héroïne, dont l'époux et le fils sont tombés également au Champ d'honneur. A titre informatif, la maison parentale d'Assia Djebar est mitoyenne de celle des Oudaï. Relater un pan de son parcours est a priori une entreprise difficile... Je n'en disconviens pas. Notre héroïne est issue d'un milieu aisé de Hadjout (ex-Marengo), précisément de la famille Ech-chaïb. Née le 7 mai 1911, elle avait tout pour avoir une vie paisible et heureuse. Instruite et parlant parfaitement le français, elle avait dès son jeune âge fait montre de nombreuses vertus. Elle était surtout solidaire avec les pauvres. Elle était toujours d'une main secourable lorsqu'il s'agissait d'aider les siens. Les évènements sanglants du 8 Mai 1945 l'avaient marquée. Dès cet instant, elle était convaincue que seule la lutte armée pouvait briser le joug colonial. Le dé-clenchement de la Révolution a été pour elle une délivrance et le début d'un engagement effectif pour libérer la patrie. Grâce aux témoignages de ses proches, particulièrement sa fille Khadidja, et de ses compagnons d'armes encore vivants, l'officier de l'ALN Si H'mimed Ghebalou et les moudjahidine Hadj Oulhandi et Belegroun, j'ai pu reconstituer des fragments de sa vie. J'évoque aussi bien la jeune fille, l'épouse, la mère, que la militante de réseaux clandestins et la responsable d'une organisation politico-militaire d'un vaste territoire englobant notamment la ville de Cherchell. Au fil de cette trame, j'ai essayé de mettre en lumière son charisme, son sens des responsabilités, son esprit solidaire, ses aptitudes pour l'organisation et ses facultés tactiques. Mais de toutes ces qualités, son courage et son sens du sacrifice relèvent tout simplement du légendaire. Le 25 octobre 1957 fut le dernier jour où elle apparaît en public. Comme s'est-il déroulé ? Dix jours avant cette apparition, elle a été capturée dans le maquis suite à une opération de ratissage de grande envergure appuyée par un renfort aérien. L'un de ses compagnon d'armes est mort au champ de bataille tandis que le deuxième a été grièvement blessé. Son arrestation a mis fin au ratissage, car pour l'armée française, la mise hors d'état de nuire d'Ella Zoulikha est synonyme d'une victoire retentissante et un coup dur pour les réseaux FLN/ALN de Cherchell. Dix jours durant, notre héroïne a subi les pires sévices de ses geôliers. Les tortures n'avaient servi à rien puisque la moudjahida a résisté et n'avait rien avoué qui puisse nuire à la marche de la Révolution. Son courage et ses principes avaient évité d'éteindre la flamme révolutionnaire à Cherchell. Le 25 octobre, enchaînée à un engin militaire, elle a été conduite dans une ancienne caserne à Menaceur. Tous les villageois ont été convoqués pour la circonstance. Voulant exploiter la situation à des fins propagandistes pour saper le moral des populations, ce fut l'effet inverse qui se produisit. Rassemblant ses dernières forces, Ella Zoulikha s'est adressée avec une voix retentissante aux présents en les exhortant à poursuivre sans relâche le combat jusqu'au recouvrement de l'indépendance. Pris de panique, un capitaine français est entré en altercation avec la prisonnière qui n'a pas hésité à lui cracher sur le visage. Un acte de bravoure resté proverbial dans toute la région. Depuis cette apparition, personne n'a revu Ella Zoulikha. Elle est restée jusqu'à nos jours sans sépulture. Sa dépouille et sa tombe n'ont pas été localisées.