Les livres sont un peu comme des amis. On a plaisir à rencontrer et croiser certains. Nous vivons aussi dans l'attente de voir en arriver ou surgir d'autres, imprévus ou inattendus. La lecture nous laisse parfois un goût d'inachevé. Le sentiment naît surtout au terme d'une plongée dans des mémoires. Il y a comme une frustration qui naît d'un récit inachevé, d'une histoire en pointillé qui doit se prolonger, sous peine de perdre de son intérêt, voire de sa valeur. La frustration est plus intense quand le livre est telle cette arlésienne dont on parle sans l'avoir jamais entrevue. Il y a quelques années, beaucoup a été dit et écrit sur les mémoires de Lakhdar Bentobbal, un des hommes qui ont joué un rôle-clé dans le mouvement national puis durant la guerre de Libération. Jusqu'à présent, ces écrits sont restés inédits nous privant d'informations de première main sur une période de notre histoire. Mohamed Harbi nous laisse aussi sur notre faim. Le premier tome de ses mémoires, « Un homme debout », a eu un vif succès lors de sa parution en Algérie en 2002. Le fil de ses souvenirs se rompt brutalement avec l'avènement de l'Indépendance. Beaucoup attendent la suite, la pièce qui manque à cette existence d'un homme qui jusqu'en 1965 était connu comme homme politique et surtout intellectuel installé aux premières loges. Son cas n'est pas unique. Saâd Dahleb, Omar Boudaoud nous font connaître un seul versant de vies qui ne se réduisent pas à une seule période. L'ancien ministre, Mourad Benachenhou, dans « Les clairons de la destinée », un livre paru chez Casbah éditions, s'est également limité à son engagement de jeune militant puis d'officier de l'ALN. Connaîtra-t-on un jour les détails de sa vie active dans les postes de responsabilité qu'il occupera tout au long d'une vie chargée ? Dans le registre des mémoires, celles de Ferhat Abbas, Mohamed-Saïd Mazouzi, Ali Haroun, Ahmed Taleb ou le couple Chaulet ne souffrent pas de cette césure. Les livres peuvent se révéler orphelins. Ils naissent mais n'ont plus de descendance. Certains auteurs ont subitement changé de registre d'écriture ou furent des météorites, des lumières vite éteintes. Le génie de Kateb Yacine s'est manifesté dans le théâtre et Mourad Bourboune a presque cessé d'écrire après le muezzin se contentant de chroniques flamboyantes et de scénarios. Sa production parcimonieuse contraste avec celle d'un Nabile Farès, d'un Rachid Boudjedra dont l'inspiration ne s'est pas tarie au fil des années et des générations. Malek Haddad n'a pas voulu également être comme « Les zéros qui tournent en rond », titre de son ultime ouvrage qui préludera à un long silence. Il y a enfin ces livres qui ne viendront jamais, ceux qu'auraient pu écrire Tahar Djaout, Rachid Mimouni. Et ces vers qu'aurait composés tel ou tel détenteur de mots à coucher sur des feuilles ou sur des trames de chanson. Que serait devenu tel ou tel personnage ? Sur quelle piste aurait pu s'engager l'auteur ? Et nous avec.