Face à une baisse vertigineuse de ses recettes touristiques, la Tunisie tente coûte que coûte de sauver les meubles d'une saison touristique qui s'annonce morose. Le prix à payer pour une révolution qui a rendu la parole à un peuple amuï par Ben Ali mais dont les soubresauts écornent cette image d'Epinal tant affectionnée par les touristes. Non, la Tunisie n'est pas à feu et à sang, elle n'est pas non plus livrée à des bandes de voleurs qui s'attaquent aux touristes dès qu'ils s'aventurent à l'extérieur de leurs clubs de vacances. Pour couper court à toutes ces rumeurs, les autorités de Tunis se sont tournées vers leur voisin de l'ouest. Objectif : rassurer le 1 million de touristes algériens qui foulent chaque saison estivale les plages au sable blanc de la côte tunisienne. Pour cela, les Tunisiens détiennent une arme qu'ils savent bien manier : la communication. Et quoi de mieux que d'inviter la presse algérienne à venir constater de visu que l'après-Ben Ali n'est pas aussi chaotique qu'on le croit. Aéroport Houari-Boumediène. Une certaine inquiétude se lit sur les visages des passagers à destination de Tunis. La mine des 25 journalistes algériens n'est également pas très rayonnante. Comment vont-ils trouver ce pays où le touriste est roi ? Dans quel état trouveront-ils la première destination des vacanciers algériens ? Aéroport TunisCarthage une heure plus tard. Pour ceux qui connaissent le lieu, la cohue habituelle des mois de juin a laissé place au calme. N'empêche, des quelques avions des compagnies étrangères descendent des touristes alléchés par des prix de séjours défiant toute concurrence. Bienvenue dans la Tunisie post-Ben Ali. Tout le long du trajet qui nous sépare de notre premier lieu d'hébergement, Sousse, rien ne laisse transparaître que l'un des plus puissants dictateurs arabes a été chassé par une révolution populaire. Rien. Même pas ces traditionnels déploiements de forces des lendemains troubles. Seuls quelques barrages avec des policiers, mitrailleuse à la main, trahissent ce changement. Pour les journalistes, le trajet d'environ 145 km entre Tunis et la station balnéaire s'est fait à bord d'un car de tourisme sans escorte. Le retour à la normale s'est bel est bien enclenché. A notre arrivée à l'hôtel Hasdrubal Thalassa, une surprise : l'activité touristique n'as pas été paralysée. Des étrangers de plusieurs nationalités logent dans cet hôtel quatre étoiles à l'architecture orientale, le tout noyé dans un océan de verdure. L'hospitalité et la disponibilité de son personnel sont un atout de plus pour cette infrastructure baignée par l'une des plus belles plages de Tunisie. Ici, les gestionnaires font attention au moindre détail. On bichonne le touriste : du jus de citron naturel en guise de bienvenue suivi d'interminables «marhaba» met de go le touriste dans le bain de l'évasion et du bien-être. Un détail peut-être, mais qui a son importance. Il fait partie des sésames de la réussite du tourisme tunisien et de son accaparation de la palme de la destination la plus prisée au Maghreb. MICHEL, GERARD ET LES AUTRES, DES HABITUES QUI N'ONT PAS DEROGE Au bord de la mer au sable fin, des transats sont soigneusement mis en place. Des touristes venus de France, Suisse, Allemagne et des pays de l'Europe de l'Est arborant une mine reposée, profitent des premiers rayons du soleil. Venu de la Haute-Savoie (France), Henri Michel Thorens, restaurateur, s'est dit satisfait de son séjour, le deuxième du genre dans ce pays. «Je suis venu l'an dernier et j'ai vite adopté cet endroit féerique. Ceci a incité ma fille à réserver une seconde fois pour me permettre de passer d'agréables moments. Le staff est très gentil, sensible et attentif», résume-t-il. Un autre habitué n'a pas manqué de revenir en ce lieu en dépit des «conseils de mes amis». Gérard Lambien de Lausanne (Suisse) est à son dixième voyage en Tunisie. «A chaque voyage, mon épouse et moi sommes satisfaits des prestations de services offerts et de la convivialité du personnel», dit-il. La révolution et les échos charriés par les médias du monde entier ont laissé ce Suisse de marbre. «Je n'ai jamais été effrayé par la survenance de la révolution, d'ailleurs nos réservations ont été faites en février, soit un mois après le déclenchement de la vague violente du changement», ajoute-t-il. Pour ceux qui doutent encore, Sousse la nocturne peut leur faire ravaler leurs certitudes. Au port El Kantaoui où se mêle l'art culinaire traditionnel et moderne, les touristes friands de soirées animées au son de l'Oud baigné par la fumée du narguilé veillent jusqu'à une heure tardive de la nuit. Près d'eux, caressés par la brise marine, yachts et embarcations balancent au gré des ondulations. Sousse, c'est aussi cette médina entourée de hauts remparts datant du 9e siècle, les monuments fortifiés médiévaux comme la grande mosquée, la Casbah, le musée archéologique ou le Ribat. Le Ribat de Monastir, c'est une chaîne de forteresse qui longeait le littoral ifriguyen au Moyen-Âge. A partir du 10e siècle, le Ribat avait perdu son rôle militaire pour être versé à la fonction religieuse. HAMMAMET YASMINE, SIDI BOU SAÏD, L'AUTRE ESCAPADE Direction vers le nord. La prestigieuse et la plus connue des stations balnéaires : la coquette Hammamet Yasmine. La carte postale est toujours là : une plage à l'infini que viennent lécher des vagues d'une mer turquoise. Hammamet Yasmine s'étend à quelques kilomètres au sud de la ville. Sur la longue esplanade du front de mer, on y trouve hôtels de luxe, galeries commerciales et établissements de loisirs dont le Carthage Land visité également par les hôtes de la Tunisie, grands et petits. Au sortir du restaurant où la délégation de la presse algérienne a dîné, une rencontre imprévue atteste que les villes touristiques sont sécurisées. La star de la télévision El Djazeera, Ahmed Mançour, déambulait sereinement sur ce boulevard en compagnie d'un ami. Une rencontre qui a permis d'échanger quelques propos autour de la «déferlante» qui touche les pays arabes. Tunis-ville. L'ultime étape. Là, les barricades de barbelés autour du ministère de l'Intérieur et quelques édifices stratégiques attestent que quelque chose s'est déroulé dans ce pays. Les chars de l'armée en position ne dérangent en rien les Tunisois ou les étrangers. Des graffitis encore visibles sur certains murs rappellent la cause de la révolution. «Stèle du chahid Bouaziz», lit-on sur un monument érigé en plein milieu de l'avenue Habib-Bourguiba. Toutefois, en dépit de cette présence militaire, les terrasses des cafés ne désemplissent pas. Des jeunes et des moins jeunes attablés sirotant qui un café qui un jus. Les discussions vont bon train sans crainte, sans angoisse d'être inquiété par la police en tenue civile qui a longtemps sévi. A tel point que les professions ont adopté des lieux de rencontre. On y trouve le café des avocats, celui des artistes ou de la société civile ou encore celui des jeunes étudiants ou lycéens. L'activité reste intense et normale dans la capitale sauf pour les commerçants de produits artisanaux qui attendent patiemment l'arrivée des «frères algériens» pour sauver une saison qui s'annonce aléatoire. Pour le touriste, une virée à Sidi Boussaïd est à ne pas rater. Ce village célèbre pour ses belles maisons en bleu et blanc charme le passager par son panorama splendide donnant sur le golfe de Tunis. Une chose est sûre, la «révolution du Jasmin» n'a pas ébranlé la Tunisie au point de compromettre son secteur touristique qui compte 1,6 million d'emplois directs. Le jasmin embaume toujours de sa senteur la terre verte.