• La location d'une salle pour un après-midi dit «kahwa », peut valoir 50.000 dinars. Par café, entendre recevoir ses invités dans cette salle pour une demi-journée en leur servant uniquement des gâteaux et des boissons. Coïncidant avec les congés annuels, l'été est la période propice pour la célébration des mariages. Fêtées autrefois dans les maisons ou sur les terrasses d'immeuble, voire dans une guitoune -la tradition est en train de revenir, semble-t-il- meme si forcement elle se déroule dans une salle des fêtes… La tendance s'est répandue comme une traînée de poudre à Oran (et en Algérie) ces dernières années. Dès que pointe l'été, c'est la course effrénée vers les réservations. Louées pour les fiançailles, mariages, circoncisions, voire à l'occasion de la réussite aux examens, les salles des fêtes se sont installées dans le quotidien des Algériens. Effet de mode oblige, à chaque introduction d'un nouvel élément dans la célébration du mariage, l'usage sera reproduit dans les mariages suivants. La première des préoccupations, en effet, une fois la date de mariage arrêtée, est de dénicher une salle «in» pour célébrer la fête. Ainsi, par manque d'espace et de commodités, par simple mimétisme, voire pour la frime, d'aucuns choisissent d'organiser la cérémonie dans ces fameuses salles qui n'arrêtent pas de faire courir presque tout le monde. Parfois même les modestes bourses. Et malgré les tarifs exorbitants pratiqués, les postulants éprouvent de la peine pour trouver une salle de libre. Pour «célébrer comme les autres» cette fête, on ne lésine pas sur les moyens. «Je vais me marier le mois de septembre et je n'ai toujours pas trouvé de salle disponible», s'inquiète Soumia, paniquée tant devant les tarifs pratiqués que par la «précosité» de la chose. Fatiha se trouve également dans la même situation, c'est-à-dire presque au bord de l'abattement. Déçue, elle nous dira «je me suis prise en retard et à ce que l'on m'a dit, toutes les salles sont réservées, je dois chercher en banlieue dans l'espoir de dénicher une salle correcte». La majorité des salles de fêtes affiche complet depuis, le mois de mai alors que les demandes sont aussi nombreuses que pressantes. Ainsi Fatima, venue se renseigner pour le mariage de son fils, nous dira que «la location nous revient un peu chère, mais comme on n'a pas d'espace chez nous, nous sommes contraints de recourir à une salle, hors de la ville, pour recevoir nos invités et puis c'est pas trop fatigant comme autrefois». CELA RAPPELLE LA FAMEUSE SALLE DES BANQUETS EUROPEENNE Si ces salles abritent 60 % des mariages, elles servent aussi pour célébrer les circoncisions, les anniversaires et même les fêtes de réveillon. Nouveau phénomène de société, la concurrence y est partout. Tout le monde se précipite vers ces salles et presque plus personne ne souhaite célébrer le mariage dans sa propre demeure. L'avis le plus partagé est que ces salles rendent service à la maîtresse de maison puisqu'elles la déchargent de la corvée de la préparation des repas, de recevoir dans l'exiguïté et surtout de faire le ménage après le départ des convives. Mais, il se trouve souvent que des gens nantis, disposant d'une vaste maison et de nombreuses bonnes, aient recours à la salle des fêtes. Cela fait chic et rappelle la fameuse salle occidentale des banquets. La télévision aidant ainsi que la presse people, les femmes, surtout, ne jurent plus que par la salle des fêtes. Si bien que ces salles poussent comme des champignons. Générant des gains importants pour les propriétaires, ce genre d'établissements connaît un grand afflux. A Oran, les tarifs varient d'un gérant à un autre, et en fonction des saisons. «Louer une salle en saison hivernale est nettement moins cher qu'en période estivale», nous indique un gérant d'une salle des fêtes qui souligne que «les tarifs dépendent aussi de la qualité des services offerts». Devant cette nouvelle mode, beaucoup ont investi ce créneau juteux. C'est que les prix pratiqués ne relèvent d'aucun entendement. La location d'une salle pour un après-midi dit «kahwa », peut valoir 50.000 dinars. Par café, entendre recevoir ses invités dans cette salle pour une demi-journée en leur servant uniquement des gâteaux et des boissons. Pour une soirée complète, repas compris, cela varie entre 100.000 et 300.000 DA. CE BONHEUR DES EPOUSES QUI RUINE LES EPOUX Des «investisseurs» rusés ont même réussi à installer un trois-en-un au sein de leur commerce juteux. Ainsi, ceux qui savent traquer le dinar en titillant l'orgueil et en puisant dans la vanité des gens, ont prévu dans un même lieu, une salle des fêtes, mitoyenne à un traiteur pour les repas qui est lui-même mitoyen à un hammam. Ainsi, la mariée n'aura pas à se trop déplacer pour fêter sa nuit de noces. La location des trois services peut vider toutes vos économies. Mais ne dit-on pas que celui qui aime ne compte pas ? Dans l'affaire, il reste que même pour 100.000 DA la soirée, et pour une simple tarte, beaucoup de familles se ruinent pour marier leurs enfants. S'ils sont de plus en plus nombreux ceux qui organisent des fêtes au coût largement au-dessus de leurs moyens, il reste heureusement des gens sensées qui savent allier les choses du cœur et celles de la raison. C'est le cas de Soufiane, un jeune universitaire qui va bientôt célébrer son mariage. «Je trouve complètement idiot de se ruiner ou de s'endetter juste pour une journée. On peut faire un beau mariage sans trop dépenser d'argent et puis la salle des fêtes n'est pas une obligation, l'ambiance qui régnait lors des mariages traditionnels à la maison était formidable». C'est aussi le cas de Karim qui nous dira : «Il est inutile de dépenser une énorme somme pour la location d'une salle pour une soirée ainsi que pour des festivités sans trop d'importance, il faudrait que les jeunes comprennent et ne participent pas à cette course ridicule du plus grand, du plus beau et du plus cher mariage». LE POINT DE VUE DE LA FEMME PRIME Un sociologue à l'Université d'Oran a bien voulu nous expliquer l'engouement des Algériens pour les salles des fêtes. Est-ce vraiment pour la fête ? «Oui et non. Bien sûr qu'on fait la fête dans ces lieux. Ils sont même faits pour ça. Mais cela n'est pas toujours la raison essentielle. La course aux salles des fêtes est un phénomène apparu il n'y a pas longtemps dans la vie des Algériens. Mais il faut savoir que la pratique existait avant puisque certains nantis avaient recours aux hôtels et restaurants huppés pour fêter un mariage. Devant la cherté de ces anciennes salles et le profit qu'elles généraient à leurs propriétaires, des malins, comme toujours, ont saisi l'opportunité pour investir dans ce créneau juteux et au lieu de construire des hôtels ou des restaurants, ils ont bâti des «salles des fêtes». Si bien que de fil en aiguille, le phénomène s'est généralisé à toute l'Algérie, sauvagement d'abord, avant de prétendre depuis quelques années à une sorte de réglementation. Donc, si au début, seuls les gens aisés avaient recours aux salles pour célébrer tout heureux événement, désormais cela fait presque partie des mœurs. Et comme on sait que dans les mariages, c'est souvent le point de vue de la femme qui prime, alors les hommes ne font plus que se plier aux «normes» pour ne pas être traités d'incapables ou avoir de sérieux problèmes avec leur moitié. C'est une mode comme une autre et elle durera le temps qu'elle durera avant d'être détrônée par une autre». Par quoi, par exemple ? «Je n'en sais rien mais faites confiance aux Algériennes, elles sauront trouver un autre jeu social qui leur permettra d'avoir le dessus sur leurs maris…» Après les frais des fêtes du mariage et de la salle, les frais des vacances, ceux du ramadhan, de l'Aïd et de la rentrée scolaire, les Algériens trouveront aussi le moyen de se créer d'autres trous dans leurs poches. Mais qui a dit que les Algériens n'avaient pas d'argent puisque même les simples salariés, et autres pensionnés, passent régulièrement par toutes ces douloureuses étapes financières ? Et, c'est là, un autre miracle de l'Algérie...