PH. : Lylia M. Le compte à rebours est enclenché. A la veille du mois sacré, la cité du Vieux Rocher sent le Ramadhan à pleines trompettes. Depuis pratiquement la mi-Châabane, la famille constantinoise renoue avec des rites et coutumes qu'elle a su conserver jalousement, érigeant sa mémoire collective en barrière contre la transgression des méandres du temps. Pour les retardataires, au lendemain d'un retour précipité des vacances, le programme "préparatifs spécial ramadan" est rattrapé in extremis. Au prix de prouesses habiles, le "personnel" est réquisitionné, le nécessaire de nettoyage fourni et la maison transformée, par enchantement, en véritable chantier. Le grand nettoyage du Ramadhan est un fait social incontournable dans le répertoire des traditions de la famille constantinoise. Déplacer les meubles, les passer au vernis, décrocher les rideaux, enlever les nappes, changer de literie, dégarnir les placards… Rien ne résiste à cette frénésie de grande eau. Pour les membres de la famille, il faut faire preuve de patience et de beaucoup de souplesse pour se déplacer à l'intérieur de la maison. Plus heureux sont encore ceux qui repeignent carrément leurs demeures. Dans la mémoire de la ville de Constantine, à l'époque de l'habitat commun appelé communément "dar el Djirène", cette tâche incombait résolument aux femmes. Toutes heureuses d'accueillir le mois sacré, les "h'rayar" de la médina passent elles mêmes les murs de leurs maisonnettes à la chaux, quittant ainsi leurs fourneaux pour troquer leurs tabliers contre celui du "Sayes", peintre de la ville. Une fois rassurées que leurs foyers scintillent sous la baguette du changement de décors, l'intérêt des femmes se tourne tout particulièrement vers leurs cuisines. A Constantine, le Ramadhan est synonyme de vaisselle neuve. La fameuse "Borma" d'argile détrône, du moins pour un mois, l'insipide cocotte- minute. Avec un "F'tour" attendu qu'en fin d'après-midi, l'onctueux "djari frik", plat principal de la région de l'est, a tout le loisir de frémir à petit feu, tournant la tête au plus coriace des jeûneurs. LE M'RACH, LES ÉPICES ET LE RESTE : DES DÉTAILS DE TAILLE Si les femmes à Constantine courent les marchés pour accommoder leurs acquisitions à leurs besoins, elles n'oublient pas moins ces artisans qui, de tout temps, ont marqué d'une empreinte artistique cette Cité de labeur. Car bien entendu, comme le veut la tradition, le rinçage des plateaux de cuivre, un art séculaire toujours en vogue, et tout l'arsenal pour servir un café à "la Constantinoise" dont notamment le porte-serviettes, porte-cuillères, sucrier et le "M'rach" à l'indispensable eau de fleurs d'oranger ou à l'eau de rose distillée, sont des détails majeurs dont l'oubli est impardonnable pour la réputation d'une bonne ménagère. BON-GRÉ, MAL-GRÉ, IL FAUT ACHETER Si les éclairs annoncent l'orage, l'adhan, la rupture du jeun, la flambée des prix, elle, annonce invariablement l'approche du Ramadhan. Que de sous économisés, que de privations de vacances ou de simples déplacements pour peu qu'ils soient onéreux, toute une stratégie pour arriver à assumer son couffin un mois durant. Un mois pendant lequel envies et avis, pour de nombreux ménages, se disputent inlassablement le porte- monnaie du consommateur. Faire ses achats dans une autre cité, dans un autre marché, la démarche est vaine. Souk El Asser, dans les parages de la vieille médina, pourtant longtemps appelé Souk Zaoualia (démunis), n'échappe pas non plus à cette fièvre des prix. Ces derniers jours, le discours n'est plus qu'à la recrudescence des prix, mais le "Ramadhan est clément", affirme une dame sûre qu'il ramènera avec lui comme à l'accoutumée sa "baraka".