Carmela Mendez sonne à la porte de son voisin Vincente Silva, menuisier dans la grande banlieue de Lima, au Pérou. Vincente Silva, qui vient d'avoir la soixantaine, n'exerce plus son métier, mais il lui arrive de faire des petits travaux pour ses voisins afin d'arrondir ses fins de mois. C'est justement le cas, ce 12 juillet 1962 : Carmela Mendez est venue lui commander une étagère pour sa cuisine. Elle sonne plusieurs fois sans obtenir de réponse, puis s'aperçoit que la porte d'entrée est simplement poussée. Elle l'ouvre, se fige sur le seuil, et pousse un hurlement tellement affreux qu'il alerte plusieurs personnes... Il faut dire qu'il y a de quoi : le menuisier a été assassiné à l'aide d'une aiguille à tricoter. L'objet long et brillant est planté en plein cœur. Peu après, l'inspecteur principal Ramon Ortiz se penche sur le corps. La blessure a très peu saigné, la mort a dû être instantanée. Il considère avec perplexité l'aiguille à tricoter. Non seulement il n'a jamais vu pareille arme, mais il n'a jamais entendu parler de quelque chose de semblable. Tandis que deux agents emmènent le corps, il va interroger Carmela Mendez, qui attend, toute tremblante, dans la pièce voisine. — C'est horrible ! Qui a pu faire ça ? Vous pouvez peut-être m'aider à le découvrir. La victime avait des ennemis ? — Absolument pas. C'était un homme charmant. Tout le monde l'aimait dans le quartier. — Il vivait seul ? Il n'était pas marié ? — Non, il était célibataire. Il disait que ce qui comptait avant tout pour lui, c'était sa tranquillité. — Est-ce qu'à votre connaissance, il gardait de l'argent chez lui ? — Cela m'étonnerait. Il vivait modestement... C'est dans ces conditions que l'inspecteur principal Ortiz commence son enquête. Les autres voisins confirment les dires de Carmela Mendez : le menuisier était apprécié de tous, c'était un homme aimable et discret, la dernière personne à qui on aurait pu en vouloir. Il n'avait pas de famille, à part de lointains neveux et nièces auxquels il ne laisse qu'un tout petit héritage. Par ailleurs, le vol n'est pas le mobile du meurtre : on a retrouvé dans la maison un peu d'argent. L'inspecteur principal a beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, il n'y comprend rien. Cette façon de tuer fait penser à un crime rituel, à de la sorcellerie ou quelque chose de ce genre. Mais il a fouillé avec soin dans l'existence de la victime, qui n'a jamais été, ni de près ni de loin, en relation avec une secte. Silva ne fréquentait que des gens comme lui. Le meurtre est extraordinaire, mais la victime est banale. Quelque chose cloche. Dès cet instant, l'inspecteur principal Ortiz a deux certitudes, il n'arrivera pas à élucider le meurtre de Vincente Silva et l'assassin à l'aiguille va recommencer. 20 août 1962, Ramon Ortiz se rend en toute hâte à Callao, le port de Lima. On vient de le prévenir que le meurtrier à l'aiguille à tricoter a encore frappé. Il franchit rapidement la passerelle du «Golden Boat», un cargo mixte anglais. Le capitaine l'attend, l'air contrarié et ému à la fois. — Quelle horreur ! Et dire que j'ai failli appareiller sans m'en apercevoir ! Heureusement que j'ai fait un tour dans les cabines... Il conduit l'inspecteur Ortiz dans celle de la victime. Un homme plutôt bien bâti, aux cheveux gris, est allongé à même le sol, avec une aiguille à tricoter dans le cœur. Le policier fouille dans les vêtements du mort à la recherche de ses papiers. En vain. Il a bien un portefeuille, mais pas la moindre pièce d'identité et il n'y a rien non plus dans la cabine. — Vous alliez où ? — A San Francisco. — Sous quel nom s'était-il inscrit pour le voyage ? — J'ai vérifié : Lourenço Alvez. (à suivre...)