Différence n Les talons minute sont à la cordonnerie, ce que les fast-foods sont à la haute gastronomie. Il y a un autre métier qui se perd dans notre pays et qui se vide de son art : celui de cordonnier. Cela paraît invraisemblable et pourtant le constat est bien réel. Car ce que nous voyons tous les jours, dans certaines petites échoppes, n'a rien à voir, ni de près ni de loin, avec l'art de la cordonnerie. Les talons minute sont à la cordonnerie, ce que les fast-foods sont à la haute gastronomie. Le métier de cordonnier reposait, il y a 30 ans, sur une industrie artisanale familiale le plus souvent. Le prêt-à-porter en matière de souliers n'existait pas. On commandait ses souliers comme on commande au tailleur aujourd'hui un costume. Le rituel est toujours le même : le client se déchausse, pose le pied droit sur un carton, un apprenti relève avec un gros crayon noir son empreinte, et même chose pour le pied gauche. La discussion s'engage alors sur le type de cuir que le client souhaite, du moins en ce qui concerne la couleur, le style de la future paire et, bien sûr, le modèle désiré de la semelle (simple, double, fine, etc.). C'est à partir de ces empreintes que le cordonnier sortira du fond de ses caisses le moule en bois correspondant à la taille du pied. Dès lors, la commande est prise en charge par une équipe d'ouvriers qualifiés et de demi-ouvriers qui travaillent assis en cercle. Au milieu de cette «halqa», des peaux de cuir trituré par les différentes découpes, une grande bassine de colle et des boîtes de clous en fer forgé. Apprentis et demi-ouvriers planchaient sur des modèles assez simples sous l'œil assuré du patron qui relève, çà et là, quelques défaillances, quelques imperfections. Quelques paires toutes neuves laissent sécher leur colle au soleil. Au bout de dix jours, tout dépend du rythme de travail de la petite «colonie», on vous invitera à venir à l'établi pour procéder à une première séance d'essayage. Les premières malfaçons des souliers sont vite repérées et identifiées. Toutes les «réparations» sont faites à la main et lorsque le travail est fini, vous êtes sûrs que vos semelles et vos talons sont à l'abri de toutes les malformations des trottoirs et de la voirie. Comme vous pouvez le constater, les cordonniers d'aujourd'hui, ou du moins ceux qui se prétendent comme tels, ne fabriquent rien de leur main. Ils jouent le rôle de service privé de la maintenance en aval d'un système de production de très mauvaise qualité. Nous savons tous qu'une paire de souliers dite «locale» ne tient pas la route au bout de quelques mois. Soit la semelle se détache neuf fois sur dix, soit le talon, soit, enfin, elle «vieillit» avant l'âge et parfois même change de couleur. Avec un marteau, quelques clous et un peu de colle, n'importe quel individu peut ouvrir un atelier de talon minute et se prévaloir d'un métier dont il ne connaît rien et qui le dépasse. Tant que notre mode de fabrication laissera à désirer, ces petits boulots, qui rendent d'innombrables services, par ailleurs, auront encore de beaux jours devant eux.