Résumé de la 1re partie n Dans les villages on qualifie d'étrangers ceux qui sont natifs du village d'à côté, alors les Domingo, des gitans, sont des êtres d'une autre planète… Pour l'opinion publique, tout est désormais simple : c'est bien un étranger qui a tué le petit gars du village, le brave Roger. C'est un de ces gitans, c'est José, peut-être aidé par son frère Manuel. Ils ont voulu empêcher le mariage avec leur sœur. Les policiers n'ont pas attendu l'opinion publique pour arrêter José. Et, quelques jours après, ils retrouvent Manuel. On l'arrête à son tour sur une route près de Gap. Il était en tournée depuis quelques jours avec sa camionnette pour vendre dans les communes des Hautes-Alpes les fauteuils et les paniers en osier, fruits de l'artisanat familial. Cette fois, c'est plus que clair, c'est lumineux. Un des deux frères a pris l'apéritif avec la victime quelques minutes avant l'assassinat. Il se trouvait sans doute au volant de sa voiture au moment du crime et l'autre frère tenait l'arme. Pourtant, ce n'est pas aussi simple et les policiers en conviennent car le 10 décembre, entre 12h 30 et 12h 40, Manuel, avec son revolver 22 long rifle trafiqué, était sur les routes des Hautes-Alpes, à des dizaines de kilomètres de la Haute-Provence et du village. Donc, l'un des frères, José, était en compagnie de la victime, mais sans arme, et celui qui l'avait était dans le département voisin. D'un côté, il y a un meurtrier sans arme ; de l'autre une arme sans meurtrier. A moins que Manuel ne soit évidemment revenu précipitamment aux environs de midi pour donner le fusil à son frère et soit reparti tout aussi précipitamment avec l'arme vers les Hautes-Alpes, une fois le crime accompli. Cette thèse est celle des policiers. Or, Manuel va la remettre en cause. Dans la matinée du 10 décembre, il a pris un autostoppeur dans sa camionnette près de Briançon. Il ne connaît pas son nom, mais il peut dire qu'il s'agissait d'un militaire et, précision intéressante, d'un militaire roux. On fait donc des recherches dans la caserne de Briançon. Le colonel demande à ses hommes s'il y en a un parmi eux qui est parti en permission le 10 décembre et a été pris en autostop. Il précise que même s'il s'agit d'une sortie irrégulière il n'y aura pas de sanction. Effectivement, le soldat Larive, aux cheveux d'un beau roux, déclare qu'il a été pris en autostop par une camionnette qui l'a reconduit à sa caserne, à laquelle ils sont arrivés vers 11 heures. Alors on étudie la route. Est-ce qu'entre 11 heures et 12h 30 Manuel avait le temps, avec sa camionnette, d'aller de Briançon au village donner le revolver à son frère ? Oui, c'est possible, à condition de rouler à soixante-dix de moyenne et d'être un pilote de rallye car sur les routes des Hautes-Alpes, en plein mois de décembre... Mais pour l'opinion du village, ces problèmes ne comptent pas. Les Domingo sont coupables. D'abord, qui sont ces gens qui ont une maison, et une belle maison par-dessus le marché, qui roulent en voiture, qui ont une camionnette et une auto ? Comment ont-ils gagné tout cet argent ? C'est bien connu : les gitans, c'est tous des voleurs. Ça commence par voler une pomme, et après ça vole l'argent des honnêtes gens. Les deux frères sont de mèche, on ne veut pas savoir comment ils ont fait, ce sont eux les assassins. D'ailleurs, on l'a toujours dit : ceux qui ont fait le coup, ça ne peut être que des étrangers... C'est ainsi que s'ouvre le procès, en novembre 1971. José et Manuel Domingo, détenus depuis onze mois dans leur prison, sont pâles et amaigris quand ils paraissent devant le tribunal de Digne. Il faut dire qu'une grève de la faim ne contribue pas à vous donner du poids. Dès le début, l'accusation s'en tient à sa thèse. (à suivre...)