Résumé de la 2e partie n Pour les gens du village, les coupables sont les frères José et Manuel, deux gitans… Les gitans ont tué Roger Martial parce qu'ils ne voulaient pas de lui dans la famille. Mais le père Domingo, le vieux patriarche, s'indigne : — Comment peut-on dire une chose pareille, monsieur le président ? Il y a eu cinq ou six mariages mixtes dans la famille, et non seulement on ne s'y est pas opposés mais on a considéré ça comme un honneur. Les cousines d'Anita, qui ont épousé des Européens, sont très heureuses. J'ai élevé mes enfants dans l'honnêteté et l'honneur, et on les accuse d'un crime abominable ! Maître Pollak, qui assure la défense de José et de Manuel, fait venir à la barre l'évêque de Digne. Monseigneur Colin est d'ailleurs, en même temps que ses fonctions épiscopales, l'aumônier général des gitans. Sa déposition est écoutée dans le plus grand silence. — Les gitans, monsieur le président, je crois bien les connaître. J'ai vu ces nomades s'établir peu à peu, se fixer dans notre pays, dans des maisons de pierre qu'ils ont acquises par leur travail. Combien ai-je célébré de mariages mixtes, combien ai-je béni de ces unions ? Je ne saurais le dire. Pour tous les gitans, le mariage avec les gens de chez nous est considéré comme un bonheur, une promotion sociale. Pour la défense, les choses semblent donc s'ar-ranger. Le poids moral de l'évêque de Digne va sans doute très favorablement influencer les jurés. Mais il y a tout le reste. A commencer par le revirement surprenant, théâtral de la partie civile, qui abandonne totalement son accusation pour la retourner, prenant de court la défense. Le jeune avocat qui défend les Martial commence son réquisitoire par ces mots : — Tout le monde, messieurs, dans cette enceinte s'égare dangereusement. Ce n'est point parce que Roger Martial voulait épouser Anita que les frères Domingo l'ont assassiné, mais pour le motif contraire : c'est parce que Martial avait déshonoré Anita et qu'il refusait de l'épouser. Ce changement d'accusation est déterminant. Il ruine d'avance toute la plaidoirie de maître Pollak, lequel avait pour but de démontrer que la famille Domingo n'avait pas l'intention de faire obstacle au mariage. Pourtant, ce coup de théâtre ménagé habilement par le jeune avocat de la partie civile n'est peut-être pas l'élément déterminant du procès. Ce qui a le plus influencé les jurés, c'est sans doute la campagne de presse locale qui a traité les Domingo d'assassins, l'attitude du public qui applaudit à tout rompre après les réquisitoires, qui murmure houleusement pendant la plaidoirie, et les cris qu'on entend dans la rue, ces gens qu'on entend à travers les fenêtres : «A mort, à mort les gitans», au milieu d'un concert de klaxons. Oui, ce lugubre, ce sinistre cri de haine scandé par des manifestants, bien confortablement assis dans leurs voitures, les jurés l'entendent encore quand, dans la petite salle attenant à la chambre criminelle, ils délibèrent. Au bout de deux heures, le jury rapporte son verdict. Manuel est acquitté, José condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle. On assiste alors à une scène dramatique : José, cramponné à la barre, hurle : — Je suis innocent, papa, maman, je vous jure que je suis innocent. Ils se sont trompés, vous pouvez encore me regarder en face. Quant à Manuel, plus désespéré d'être libre alors que son frère retourne en prison, il se frappe la tête contre les murs. L'envoyé du Figaro écrit à propos de cette journée : «Le spectacle de la haine est toujours insupportable lorsqu'il s'étale devant un tribunal. Pas de trace de racisme dans cette affaire ? Allons donc ! J'ai vu le match des paysans bas-alpins contre le manouche sur lequel on lâche un chien.» (à suivre...)