Un empereur se meurt, loin de chez nous. En 1740 Charles VI d'Autriche, se sentant faiblir, désigne sa fille Marie-Thé-rèse pour lui succéder comme impératrice d'Autriche. C'est un peu normal car elle est sa fille aînée et il n'a pas d'héritier mâle. Elle a épousé François de Lorraine et Louis XV, dit le Bien-Aimé, consent à la reconnaître pour impératrice à condition de récupérer le duché de Lorraine. Après tout, pourquoi pas ? Si les Autrichiens admettent qu'une femme a autant de cervelle qu'un homme pour commander les peuples, c'est leur affaire. Mais dès que Charles VI ferme définitivement les yeux toutes les nations européennes dénoncent leur accord : Prusse, France, Bavière, Saxe, Espagne, Sardaigne se mettent en route pour la guerre de Succession d'Autriche. Marie-Thérèse, du haut de ses 23 ans, se défend, lâche la Silésie à la Prusse, reprend Prague aux Français, s'allie aux Hongrois, aux Anglais, aux Néerlandais, s'empare de la Bavière, menace l'Alsace. Toutes les nations bouleversées, toutes ses alliances qui changent de camp nous amènent le 11 mai 1745, dans le Hainaut qui n'est pas encore belge, où l'on se prépare à livrer bataille. D'un côté les Anglais, les Hanovriens et les Hollandais soutenus par quelques Autrichiens affrontent les Français de Louis XV aidés de troupes suisses. Le «Bien-Aimé» lui-même est là. Mais c'est le maréchal de Saxe, fils naturel du roi de Pologne, et grand coureur de jupons, qui dirige la manœuvre des Français. Ces derniers sont soixante-dix mille. En face, les Britanniques viennent de débarquer au nombre de vingt mille. Le maréchal de Saxe est un fort bel homme de 50 ans mais la vie qu'il mène à grandes guides lui fait payer ses folies de jeunesse : il souffre de terribles crises d'hydropisie. C'est pourquoi ce grand chef de guerre, incapable de se tenir sur un cheval, parcourt le champ de bataille dans une voiture d'osier. Ce qui ne l'empêche pas de réfléchir à son plan de bataille : — Il nous faut prendre Tournai puis, une fois la chose faite, nous nous dirigerons vers l'Escaut, ce qui nous permettra de contrôler la Flandre autrichienne. Dans l'autre camp, le chef militaire est le duc de Cumberland, troisième fils du roi George II, qui se doute bien des intentions du maréchal et qui dit en anglais : — Nous devons nous appuyer sur la ville de Tournai. Cela nous permettra d'enfoncer les troupes françaises et ensuite nous irons jusqu'à Paris. Il ajoute, pour montrer sa confiance : — Nous irons à Paris ou je mangerai mes bottes. Les deux camps se surveillent mutuellement à la longue-vue et les couleurs rutilantes des uniformes permettent à tous d'identifier chaque mouvement dans le camp adverse. D'ailleurs, aucun corps de troupe ne songerait à faire le moindre pas en avant sans tambours, trompettes et toutes les bannières possibles. Personne ne songe au moindre camouflage. Le maréchal de Saxe réfléchit donc et décide d'empêcher les projets du duc. II choisit l'endroit de l'affrontement : une petite plaine détrempée par la pluie, un petit espace d'à peine un kilomètre sur deux. Il lance des ordres, place les troupes comme un joueur d'échecs déplace ses pions. Mais ici les pions souffrent et sont prêts à mourir. La présence de Louis XV enflamme le cœur des Français. Louis XV est d'humeur joviale et fait preuve de sa culture historique : — Messieurs, vous rendez-vous compte d'un fait intéressant : depuis la bataille de Poitiers, en 1356, aucun souverain de France n'a combattu aux côtés de son fils ! Et il faut remonter à Saint Louis pour qu'un souverain français affronte les Anglais dans un tel déploiement de troupes... Le roi ne songe pas un instant à une éventuelle défaite. Mais les Français ont pris toutes les précautions pour éviter au roi d'être fait prisonnier si les coalisés d'en face venaient à prendre le dessus. C'est là le principal. (à suivre...)