Le 22 août 1957, tôt le matin, l'aviation, accompagnée d'un grand mouvement de camions et de chars, avait commencé à survoler tous les endroits suspects aux alentours des villes et des postes militaires. Tous les pauvres habitants des douars où nous étions passés – hommes, femmes et enfants, sans distinction aucune – furent atrocement torturés, parce qu'ils s'étaient refusés à fournir le moindre renseignement valable sur les auteurs des attaques, prétendant n'avoir rien vu, rien entendu, même si, question de simple logique, l'ennemi savait pertinemment que nous étions forcément passés par ces douars... Mais, en dépit des peines et des vexations de toutes sortes que les tortionnaires leur avaient fait subir, ces braves et héroïques compatriotes n'ont desserré les dents que pour répéter une seule phrase qui mettait l'ennemi hors de lui et le rendait encore plus féroce : «Nous n'avons rien vu !» Devant le silence fier et obstiné de ces pauvres gens sans défense, les officiers de l'armée coloniale ont rageusement décidé d'incendier leurs maisons et de saccager tous leurs biens. Mais on sait fort bien que ce genre d'exactions ignobles qu'avaient coutume de commettre sans vergogne les autorités coloniales en Algérie ne purent jamais avoir raison de la détermination du peuple algérien. Nous, les moudjahidine, nous souffrions cruellement devant le spectacle désolant de tous ces douars que nous voyions brûler à quelques kilomètres dans le lointain. Notre peuple a payé très cher le prix de l'indépendance. Et, en vérité, il en allait toujours ainsi : nous attaquions l'ennemi et nous lui tuons des soldats et lui prenions leurs armes, mais c'était toujours les populations civiles désarmées que l'on faisait payer. Les militaires français ne laissaient passer aucune occasion de prouver leur lâcheté et leur injustice. Et là était en fait toute l'ampleur de leur déroute morale. A l'exemple de ce que dit ce célèbre proverbe populaire bien de chez nous : «Mâ qdarch 'aala el hmâr, râh yachtâr 'aala el bardaa» (Comme [le lâche] n'a pas pu avoir raison de l'âne, il s'en est pris alors à la selle). Je devais rester à jamais marqué par cette grande opération d'envergure nationale que nous avions lancée pour commémorer à notre façon très particulièrement explosive l'anniversaire des deux dates historiques mémorables du 20 août 1955 et 1956. Pour mémoire, le 20 août 1955 est une date inoubliable dans l'histoire de la lutte armée algérienne, auquel s'attache le nom du chahid Youssef Zighout (alors chef de la zone II historique – Nord-Constantinois, qui après le nouveau découpage adopté un an plus tard, lors Congrès de la Soummam, deviendra la wilaya II). La vaste offensive armée qu'il avait lancée contre les intérêts français à travers l'en-semble de son territoire de commandement et la ville de Skikda en particulier, avait profondément bouleversé l'adversaire. Par cette action généralisée qui couvrira tout le territoire national, l'ALN avait administré la preuve que ses moudjahidine étaient des combattants révolutionnaires disciplinés et parfaitement organisés, omniprésents au sein du peuple algérien, dont ils étaient les seuls défenseurs et les authentiques porte-parole et représentants, tout le reste n'étant que mensonge et intoxication. (à suivre...)