El-Tarf Rasé de près, mince, le teint clair, l?homme, au banc des accusés, vêtu d?un polo visiblement coûteux, n?a pas «la tête de l?emploi». Accusé de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort avec intention de la donner, Abderrazak H., 33 ans, dealer notoire dans cette petite ville, reste imperturbable quand le président de la cour entreprend la lecture de l?acte d?accusation et que les différents témoins se présentent à la barre. Les faits remontent au 17 août 2003. La fête bat son plein dans la cour de M. S., qui vient de convoler en justes noces. Il est deux heures et la musique tonitruante qui inonde tout le quartier, couvre le bruit des conversations des fêtards, venus danser au rythme des chansons raï d?un orchestre de banlieue. Parmi ces derniers, la victime, Nourredine Z., 27 ans, un autre dealer, assis sur une chaise, est entouré d?autres jeunes plus bruyants les uns que les autres. La bière et le vin rouge coulent à flots ; la drogue circule de main en main. Nourredine, qui a déjà eu une altercation avec Abderrazak H. au cours de la soirée dans un autre mariage, a été légèrement éraflé au bras et au côté par un coup de couteau porté par l?accusé. Après s?être lavé et changé chez une amie de sa mère, Nourredine est allé finir sa soirée au mariage de son ami M. S., où le meurtrier l?a suivi. Profitant d?un moment où les décibels semblaient vouloir faire éclater les tympans, Abderrazak s?approche de sa victime à l?improviste et lui assène un coup violent à l?arrière du crâne, qui fait voler la bouteille en éclats. Curieusement, les témoins, pourtant assis tout près de la victime au moment des faits, déclarent tous n?avoir rien vu ou entendu. «Vous étiez ivres-morts, alors !», ironise le président. Rires dans la salle. Un des témoins, un jeune barbu, prend la mouche et déclare : «Monsieur le président, je ne bois jamais et je ne fume jamais. ? Calmez-vous, répond le magistrat. Nous ne sommes pas ici pour juger votre comportement. Vous êtes libre de boire ou non, mais comment n?avez-vous pas vu le crime perpétré à deux mètres de vous ? ? J'avais les yeux braqués sur l?orchestre.» Rires à nouveau. Avant de prononcer le verdict ? la prison à perpétuité ? le président décrit l?accusé comme un homme «dur, cruel, qui ne pardonne jamais la moindre offense». Et ce n?est qu?à ce moment que Abderrazak, qui a suivi les débats d?un air détaché, même lors de la description des blessures portées à la tête de sa victime, baisse la tête, gêné devant la nombreuse assistance.