«C?est par où Kehaïlia ?» Un jeune, assis sous un arbrisseau dans une intersection à la sortie de Tafraoui, un troupeau de moutons éparpillés autour de lui, nous montre la voie sans souffler mot. «C?est un bekouche» (un sourd-muet), dit le chauffeur de taxi curieux, lui, de découvrir «l?enfer» après 20 ans de courts et longs déplacements. Non, ce n?est pas un «bekouche». Le petit pasteur bien drapé dans sa djellaba poussiéreuse n?avait peut-être pas envie de parler aux inconnus que nous étions. Le chauffeur a commis l?impair d?oublier qu?un bekouche n?entend pas ! Petit virage à gauche, trois kilomètres sur l?asphalte puis Kehaïlia. Notre arrivée coïncide avec la descente de petits garçons et filles d?un J5 que notre véhicule a dépassé depuis dix minutes du côté de Oued Tlelat. Cartable en bandoulière pour les plus aisés, des sachets pour les plus démunis. Les petits nous adressent le même sourire, celui de l?innocence. Entre l?entrée principale et le «centre-ville» du douar, il n?y a pratiquement que quelques mètres sur une piste caillouteuse et sur laquelle cahotent les véhicules les plus robustes. Un mulet attaché à un vieux citronnier nous suit des yeux. Peut-être n?était-il habitué qu?aux gens de la région ? En face, quelques vaches sortent seules d?une immense étable pour aller s?abreuver dans la petite «skikha» (lavoir). Quelques pigeons gris font des acrobaties pour grignoter ce qui peut encore l?être. A la mi-journée, Kehaïlia, qui ferait, pour un étranger des lieux, un décor far west, donne l?impression d?une ville fantôme. Ce n?est heureusement qu?une impression, car une fois en plein c?ur du hameau, devant la mosquée, une nuée de jeunes et de vieux se disputant quelques gouttelettes d?eau nous laisse enfin croire qu?à Kehaïlia, la vie a encore un sens : se battre.