«Belles demoiselles ! Belles demoiselles !» C?était un vieillard, recroquevillé dans son burnous, assis près de la mosquée : «Que faites-vous ici ? Le chat Moune vous dévorerait s?il venait à passer par là !», reprit, inquiet, l?inconnu. «Le chat Moune est mort !», répondirent en ch?ur les jeunes filles heureuses. Le visage du vieillard s?éclaira. Ramdia et ses s?urs s?approchèrent de l'inconnu et le pressèrent de questions ; le vieil homme, qui n?était autre que le muezzin, leur raconta la terrible histoire du chat Moune : «Cette ville que vous voyez en ruine et déserte, était l?une des plus belles et des plus riches d?Algérie ! Un roi pieux et plein de sagesse y régnait. Mais ce sultan, pour notre malheur, avait un fils d?une grande beauté et d?une force prodigieuse qui s?appelait Rahmoune et qu?on surnommait Moune. Plus le prince grandissait et plus sa force surhumaine le rendait cruel. Un jour, le diable, qu?il soit maudit, lui offrit une énorme massue de bronze forgée sans doute dans les enfers, en fait, il fallait la force de cinq gaillards pour pouvoir la lever. Tous les matins, le prince s?entraînait à soulever la lourde masse. Bientôt il parvint non seulement à le faire sans peine, mais arriva même à la manier avec dextérité. Alors, comme un enfant, il jubilait et se mettait à frapper sur tout ce qui se trouvait à la portée de sa main. C?est ainsi qu?il en vint à détruire les ateliers des pauvres artisans. Il riait à gorge déployée en dévastant les échoppes des paisibles commerçants. Le prince, enivré par sa force, sillonnait la campagne où il saccageait les récoltes, assommait à coups de massue des troupeaux entiers. Parfois même, pris de folie, il écrasait tout ce qui bougeait sur son passage. Une triste nuit, notre bon roi mourut, et, dès l?aube naissante, en rangs serrés, les habitants quittèrent la ville en silence. Même les paysans fuirent leurs fermes et leurs champs. Quand le méchant prince s?aperçut que son royaume se vidait, il se posta aux portes de la ville où il fit tournoyer sa massue, renversant, comme des fétus de paille, les charrettes des fuyards. Alors, devant un tel carnage, Cid Ali, un saint homme à l?apparence vénérable, s?approcha du dément dans l?intention de le raisonner. Pris d?un excès de folie, le prince assomma le sage d?un coup de massue. Cid Ali tomba à terre sans vie et quand sa longue et belle barbe blanche toucha le sol, la terre s?ouvrit pour engloutir le palais et toutes ses richesses. Le prince sanguinaire fut aussitôt transformé en l?énorme chat que vous connaissez. Une voix, qui fit trembler les collines, le condamna en ces termes : «Prince Ramoune, tu deviendras le Chat Moune De ta propre queue viendra ton châtiment Ainsi que ton exécution ! Toutes les nuits, tu seras hanté. Et torturé par cette même queue ! Qui te fera vivre et glisser peu à peu Dans l?enfer et le feu !» «Mais dites-moi plutôt, comment le chat Moune a-t-il trouvé la mort ?» reprit le muezzin «Le chat a brûlé comme une torche», répondit Ramdia. Le vieillard soupira et dit : «Le feu est l?empreinte du diable, il n?a fait que reprendre son bien !» Ramdia lui proposa alors : «Venez avec nous, petit père, nous allons vous montrer la caverne du chat !» Quelle ne fut pas leur surprise quand ils découvrirent qu?à la place de la grotte se dressait un magnifique château. Le vieil homme s?exclama : «C?est le palais de notre vieux roi, celui-là même qui avait été englouti !» La joie donna des ailes au muezzin qui courut appeler du haut de son minaret : «Nobles gens de la ville morte revenez ! Le chat Moune n?est plus ! Le palais de notre vieux roi nous a été rendu Nobles gens de la ville morte revenez !» Le muezzin répéta sans cesse cet appel et Dieu, pour cela, lui prêta voix forte. On vit bientôt un grand ruban se dérouler du haut de la montagne pour arriver au pied de la ville : c?était une longue procession d?hommes, de femmes et d?enfants qui cheminaient heureux vers leur foyer. Ramdia et ses s?urs habitèrent le palais du Chat Moune. et les mois et les jours passèrent sans que l?on sache où et comment ils s?en allèrent? Les deux grandes filles épousèrent les fidèles vizirs qui aidèrent Ramdia à faire renaître la ville. Peu à peu, tous ceux qui avaient fui la folie du prince Moune et souffert de l?exil étaient revenus habiter parmi les leurs et avaient retrouvé, grâce à Ramdia, leurs biens. C?est ainsi que la ville morte reprit vie et connut à nouveau la paix, le bonheur et la prospérité d?autrefois. (à suivre...)