Indifférence La présidentielle n?est pas sur toutes les lèvres et le sujet fait même se disperser des groupes de gens. Le vieux Abdelkader peine à faire avancer sa vieille brouette bourrée de jerrycans. Il vient de prendre son «quota» d?eau de la semaine, non sans quelques chamailleries avec un essaim de bambins, heureusement pas assez rusés pour lui jouer un vilain tour et avoir l?audace de s?approvisionner avant lui. Veste et pantalon rapiécés, espadrilles éculées, chechia sale et usée cachant mal sa calvitie, «Si Abdeka» observe le même rituel depuis des années : une brouette et des jerrycans avec toujours les mêmes gestes qui ne l?empêchent tout de même pas d?étaler son art de la maçonnerie quand il est sollicité par les gens d?Oued Tlelat, un village distant de quelque 7 km, là où on trouve chaque matin, après la prière du Fdjer, jeunes et vieux de Kehaïlia en train de siroter un café dans un estaminet de fortune. Prendre un café à 7 km de chez soi ? C?est l?exploit inédit d?une jeunesse qui n?a ni café, ni stade, ni cinéma. Le changement avec le nouveau président de la République ? A Kehaïlia, la présidentielle n?est pas sur toutes les lèvres et le sujet fait même disperser des groupes de gens venus, sous des arbres, s?imprégner de cette fraîcheur printanière. D?abord, la priorité des priorités : l?eau. «C?est une denrée rare ici», nous avise un enfant, à peine dix ans, mais paraissant en avoir plus avec des mains de bûcheron et des yeux de ferronnier. Depuis le triste épisode de la peste, le besoin en eau, ce capital vital pour la survie, se fait de plus en plus ressentir. «Les vaches n?ont plus où s?abreuver depuis que les autorités ont pris la décision de fermer définitivement la sebkha», se lamente le propriétaire de cinq vaches qui nous annonce tout de go «le scoop» de vouloir quitter définitivement le douar pour un appartement en plein centre-ville d?Oran, une ville proche et lointaine à la fois. Proche en termes d?insignifiants kilomètres, mais lointaine, compte tenu de la mentalité du douar, caractérisée par un conservatisme ancestral. «Si je quitte le patelin, c?est avec le c?ur déchiré, mais vous voyez bien qu?il n?y a rien ici. Kehaïlia n?existe que par le nom», nous lance ammi Salem, propriétaire d?une demi-douzaine de vaches, entouré d?une douzaine d?enfants, tous mal vêtus, chétifs, la chevelure mal soignée, mais les yeux laissant transparaître malgré tout une lueur d?espoir. «Dites-moi, Yerham bouk, c?est une vie celle-là ? Ni eau, ni bitume, ni travail, ni café, ni stade, ni?» La liste des «ni» donne l?impression d?être interminable dans ce hameau qu?on traverse en long et en large en dix minutes seulement, mais dont on garde des souvenirs pour l?éternité. Ici, tout le monde se connaît. La misère vécue à l?unisson a tissé entre les habitants un lien indéfectible et la peste, apparue en juin 2003 emportant avec elle le petit Hichem, 11 ans, l?a consolidé. «Nous l?avons pleuré à chaudes larmes, c?était notre fils, mais sachez bien que si la peste n?est plus là, il y a d?autres enfants qui vont mourir, achevés par la misère?», avertit hadj Lakhdar, un septuagénaire emmitouflé dans sa kachabia usée. De loin, apparaissent des portes à peine ouvertes d?où on peut aisément entrevoir les silhouettes de femmes. «Elles ne sortent que très rarement, mais les mentalités ont évidemment changé. Beaucoup de gens laissent leurs filles aller à l?école. Il existe même des filles qui vont à l?université et qui ont des portables», affirme un jeune apparemment heureux de nous faire admettre que Kehaïlia n?est pas uniquement synonyme de peste.