Résumé de la 1re partie n Cet homme vient d'apprendre que sa femme le trompe depuis six mois... Maintenant qu'il est habillé, il paraît très élégant, très à l'aise, et il parle bien : «Je suis journaliste. Je ne suis pas très bien vu en Roumanie depuis la dictature, mais j'ai encore dans les milieux dirigeants et dans les ambassades quelques relations qui peuvent être utiles. Lorsque Colette m'a dit que vous étiez comme moi : exilé autrichien d'origine russe, il était normal que je vous en fasse profiter.» Le cocu hoche la tête. Il ne dit pas merci, mais c'est tout juste. Il y a dans son regard un rien d'admiration pour l'homme qui est en train de lui voler sa femme. Lui aussi a des relations, mais d'un tout autre genre : ses meilleurs amis sont un crieur de journaux, un garçon de restaurant et le niveau social le plus élevé parmi ses fréquentations est celui d'un valet de chambre. D'ailleurs, il ne s'est jamais fait d'illusions sur sa propre valeur. Il n'est ni beau, ni riche, ni intelligent, ni drôle, ni très courageux. Et, en plus, ce qui est très mal porté en Roumanie, ces années-là, il est juif. Il a donc été le premier étonné lorsque Colette, jeune fille simple mais d'une rare beauté, a consenti à l'épouser. Mais cela devait mal se terminer. Il fallait s'y attendre. Voilà, c'est fait. L'ennui c'est qu'ils ont deux enfants. Il demande : «Colette... — Oui, Paul... — Tu rentres avec moi ou tu restes là ? — Je reste là, jusqu'à sept heures. — Bien», dit le cocu qui salue machinalement d'un signe de tête, se retourne et s'en va. C'est donc en septembre 1939, alors que la guerre se déchaîne en Europe, que Gregori Labalski, Autrichien d'origine russe – exilé en Roumanie – est surpris en flagrant délit avec la ravissante femme d'un dénommé Paul Holtorf. Gregon Labalski – journaliste, correspondant du Daily Herald – parle toutes les langues et connaît le monde entier. Paul Holtorf est retoucheur chez un tailleur. Apparemment, tout s'est très bien passé pour les deux amants. Une sorte de statu quo s'est établi : Gregori voit plusieurs fois par semaine Colette Holtorf, mais celle-ci rentre chaque soir chez Paul Holtorf pour s'occuper de ses deux enfants qui ont respectivement deux et cinq ans. Comme les deux hommes sont autrichiens exilés, Gregori use de ses relations pour protéger Paul Holtorf qui est juif. Le régime dictatorial de la Roumanie, à cette époque, épousait de plus en plus étroitement la cause nazie, y compris son antisémitisme dément. Puis un jour, Paul Holtorf demande à rencontrer son rival dans un café de Bucarest. «Monsieur Labalski, d'après ce que m'a dit Colette, vous êtes anti-nazi. — Oui. — Moi aussi, puisque je suis juif. Alors voilà, j'ai pensé — comme vous êtes journaliste – que vous pourriez faire quelque chose contre les Allemands. — Oui. Et quoi ? — J'ai un ami qui connaît une personne au courant de certaines choses. — Quelle personne ? — Je ne veux pas vous le dire. — Alors dites-moi au moins quelles choses ? — Eh bien voilà. Il paraît que les Allemands s'apprêtent à attaquer la Russie.» Gregori Labalski a un haut-le-corps. Il examine ce petit homme rondouillard, ses moustaches jaunies de nicotine, sa calvitie, sa petite bedaine appuyée sur la table du café. A priori, rien de moins crédible que ce petit cocu ridicule et complaisant. Comment porter foi à une information aussi énorme. (A suivre...)